Il y a des rencontres qui changent une vie. Cette circonstance s'est produite à l'été 1976 pour Yves Yau, ophtalmologue installé à Valenciennes (59) et trentenaire à cette époque. “Il y avait une chaleur terrible cet été-là. À l'époque, la pratique loisir de la bicyclette était embryonnaire, mais on voyait une renaissance du vélo à ce moment-là — un peu comme aujourd'hui — qui était jusque-là plutôt vu comme un sport ou un moyen d'aller au travail, se souvient le médecin. J'ai fait connaissance de personnes avec qui on sortait à vélo. J'aimais beaucoup ça, mais elles se sont arrêtées en hiver.” Pour poursuivre cette occupation qu'il avait toujours “gardée dans un coin de la tête” depuis qu'il avait suivi le Tour de France avec son père dans sa jeunesse, il a sauté le pas en s'inscrivant dans un club cycliste à côté de chez lui.
Dès lors, le docteur Yves Yau a pratiqué de plus en plus régulièrement. Mais le déclic a eu lieu en l'été 1981. “La semaine fédérale [internationale de cyclotourisme] s'est réunie pas loin de chez mon autre chez moi, en Ariège, se remémore-t-il. Il y avait près de 3 000 cyclistes, ça m'avait beaucoup impressionné à l'époque ! Lorsque je les ai vus pratiquer des randonnées, sans temps ou classement, je me suis dit que c'était ça qui me plaisait.”
Du temps pour soi et les autres
L'ophtalmologue s'est alors inscrit dans divers clubs de son département et a pratiqué tout au long de sa carrière de médecin. Entre les opérations et les consultations, Yves Yau a trouvé dans la petite reine un exutoire. “Au début, parcourir 100 km nous a paru fabuleux ! sourit-il. Lorsqu'on a voulu le faire, nous avions prévu de rejoindre nos épouses à un endroit précis pour un pique-nique. Lorsque nous y sommes arrivés, nous mourrions de faim mais il n'y avait personne parce que nous nous étions trompés de localisation !” Une passion qui n'a cessé de le pousser à parcourir des distances toujours plus longues. Aujourd'hui, le médecin a à son palmarès : 7 Paris-Brest-Paris (course de 1 200 km qui a lieu tous les quatre ans, NDLR) ainsi que la traversée de l'Amérique du nord au sud et de nombreux voyages en Europe, mais aussi deux fractures du fémur en VTT.
Dans les années 2000, Yves Yau décide de prendre se retraite pour “pouvoir faire autre chose”. Là, un ami lui propose de s'occuper des sportifs de haut niveau. “Pas beaucoup de médecins voulaient s'occuper de ça, alors on était beaucoup de retraités”, explique-t-il. Là, il s'occupe de l'équipe de volley-ball féminine de Valenciennes et assure également une présence médicale lors des rencontres du club de basket-ball de l'AS Denain-Voltaire. Parallèlement à ces engagements, l'ophtalmologue à la retraite retourne sur les bancs de l'école et suit une formation de médecine et biologie du sport durant deux années. “Je voulais être dans le coup ! Dans cette formation, nous étions une dizaine pour la région Nord et Normandie, assure-t-il. C'était intellectuellement très stimulant. On voyait la cardiologie, la traumatologie, comment se répartit l'effort, etc. On n'étudiait pas ça en médecine car là les sportifs ne sont pas malades ! Là, il s'agissait davantage de prévention et de gestion des accidents, savoir bien orienter les gens, ce qui peut attendre ou non, ne pas faire des examens tout azimuts mais surtout de la psychologie. Nous avons souvent affaire à des jeunes gens loin de chez eux, parfois étrangers et qui ont peur de la blessure.” Une expérience dont il décide de couper court au bout de quelques années. “Pour être un bon médecin du sport, il faut pratiquer soi-même la discipline, avoue-t-il. Je ne comprenais pas tout ce que me disaient les sportifs et mes échanges avec les entraîneurs étaient difficiles car je ne regardais que le point de vue médical. Ensuite avec le vélo, la fédération ça faisait trop."
Fédération de cyclotourisme
Alors qu'Yves Yau était membre de la commission médicale de la Fédération, des collègues lui proposent la grande aventure de sa vie : partir de Pékin (Chine) pour rejoindre à vélo Londres (Royaume-Uni) en 5 mois à l'occasion des Jeux olympiques de 2012. “Ça me démangeait mais cela me paraissait long, se rappelle-t-il. Mon épouse m'a donné son accord en me disant: ‘Vas-y sinon tu le regretteras toute ta vie.’” De cette traversée du continent, le retraité se souvient des multiples épreuves dignes d'une épopée moderne. “Je ne voulais pas passer mon temps dans la voiture logistique alors j'ai aussi pédalé mais c'était très dur : il y avait des chutes, les personnes tombaient malades et il fallait s'occuper de 90 personnes tout en roulant ! s'exclame-t-il. Une fois arrivé sur place, on devait procéder aux radios ou prises de sang dans des hôpitaux chinois où on ne se comprenait pas!” Ces difficultés ont forgé le groupe et 8 ans après cette aventure, il continue de revoir ce groupe de cyclistes.
“On me demande souvent ce que j'aime dans le vélo, c'est difficile à dire, reconnaît-il. Le plaisir de créer son propre mouvement, de parcourir des distances en discutant avec la famille, les amis, les gens du club. Le plaisir de passer un col et la sensation de vitesse parfois grisante qui apportent bien-être physique, mais également la convivialité du milieu cycliste.” Cependant, malgré son ardeur à pédaler, l’œuvre du temps semble aujourd'hui le freiner. Après huit années comme médecin référent de la fédération, le docteur Yves Yau souhaite passer le relai. “Il ne faut pas s'encroûter”, assure le médecin de 74 ans qui entend continuer à se mouvoir librement à bicyclette.