Depuis le 20 juillet, le port du masque est obligatoire dans les lieux publics clos. Si l'efficacité des masques pour lutter contre le coronavirus a été prouvée scientifiquement, ils constituent un obstacle majeur à la communication des personnes sourdes ou malentendantes. Cédric Lorant, président de l'association Unanimes, nous explique en quoi les masques agrémentés d’une fenêtre transparente sont essentiels pour les personnes sourdes ou malentendantes, et nous raconte son quotidien de personne sourde en temps de pandémie.
L’entreprise Odiora vient de lancer, avec le soutien de la Fondation pour l’Audition, la production de ses Masques Sourire ®, qui sont agrémentés d’une fenêtre transparente. A quoi servent-ils ?
La fenêtre transparente nous permet déjà de voir que la personne en face parle. C’est une information capitale, que nous perdons avec les masques normaux.
Plus généralement, ces masques servent à améliorer la communication des personnes sourdes et malentendantes, pour qui la lecture labiale et les expressions du visage sont primordiales. Les masques sans fenêtre nous déstabilisent complètement, car ils nous privent de la suppléance mentale nécessaire à une bonne communication, même lorsqu’elle se base sur la langue des signes (toutes les personnes sourdes ne signent pas, NDLR).
Tous les profils sont concernés par ce problème, y compris les personnes ayant une surdité légère, qui ont été surprises de rencontrer des difficultés de communication à cause des masques, alors que normalement elles s’accommodent sans problème de leur handicap.
A qui destinez-vous ces masques ?
La démarche n’est pas forcément évidente, mais ces masques sont bien destinés aux personnes entendantes. En soi, les personnes sourdes ou malentendantes n’ont pas besoin de masques ajourés pour communiquer. Je vais inciter notre communauté et les politiques à les porter, mais ce sera juste pour donner l’exemple.
Ces masques sont-ils déjà disponibles ?
Oui, ils ont été homologués la semaine dernière, et j’en ai reçus hier. Les entreprises employant des personnes sourdes et malentendantes pourront les distribuer directement à leurs travailleurs. Nous pensons aussi passer par les chambres de commerce pour fournir les commerçants en masques ajourés. Enfin, je pense que je vais inciter chacun d’entre nous à distribuer ces masques de manière individuelle, notamment auprès de nos magasins de proximité. Moi, je vais faire ça.
Comment les personnes sourdes ou malentendantes vivent-elles depuis le début de l’épidémie de coronavirus et le port du masque ?
Nous rencontrons des problèmes importants au quotidien, notamment quand on fait des courses. On peut demander aux caissiers et caissières de retirer leur masque en leur signalant qu’on est sourd, mais certains ont trop peur du virus et refusent de les retirer. Cela concerne environ 50% des cas.
J’ai récemment fait une commande dans un restaurant avec un panier, et ça a été très compliqué, car en plus des masques, le vendeur était mal à l’aise avec mon handicap. J’ai des personnes de mon entourage qui ont même dû renoncer à faire leurs courses, faute d’avoir pu se faire comprendre. Ils ont dû changer de magasin pour en trouver un qui accepte que leurs employés retirent le masque pour communiquer.
Lors des rendez-vous médicaux chez les ORL et les audioprothésistes, ça va car ils se sont équipés de vitres et de visières. Mais dans les milieux hospitaliers, où les masques ajourés ne sont pas du tout utilisés, cela peut être très handicapant, surtout si la personne sourde ou malentendante vient pour se faire opérer par exemple. Dans ce cas, elle sera aussi privée d’éventuelles lunettes de vue et des appareils auditifs, ce qui diminue encore un peu plus les sens servant la communication.
Les personnes sourdes ou malentendantes se sentent souvent exclues* de la société. La pandémie de coronavirus et le port des masques augmentent-ils ce sentiment d’exclusion ?
On observe deux dynamiques, une négative et une positive. C’est sûr que pour certaines personnes, notamment celles qui se sentaient déjà exclues de la société avant la pandémie, la Covid-19 aggrave les choses. Mais pour d’autres, le coronavirus et le port du masque les poussent à s’affirmer, et à trouver des solutions de communication alternatives, comme l’écriture ou les applications de transcription écrite instantanée par exemple.
Le centre relais téléphonique, qui permet grâce à la présence d’une personne tierce ou d’un système adapté de mettre en relation téléphonique des personnes sourdes, malentendantes, sourd-aveugles ou aphasiques avec un interlocuteur (personne, service clients, service public), s’est aussi largement développé depuis le début de l’épidémie.
*Selon une étude canadienne, une perte d’acuité auditive de 10 décibels, soit le bruit d’une respiration lente, augmente de 52 % le risque d’être isolé socialement. Source : Mick P, Pichora-Fuller MK, « Is hearing loss associated with poorer health in older adults who might benefit from hearing screening ? » Ear and hearing 2016 ; 37 (3) : e194-201.