Les personnes âgées ont-elles été écartées des hôpitaux pendant le pic épidémique de coronavirus en France ? C’est la polémique lancée par Le Monde. Pour appuyer sa théorie, le quotidien révèle des chiffres de la direction générale de l’offre de soins (DGOS). La semaine du 30 mars au 5 avril, seuls 14% des patients admis dans les unités de réanimation avaient plus de 75 ans, alors qu’ils étaient encore près de 25% début mars. L’âge médian des patients hospitalisés en réanimation est par ailleurs tombé de 66 à 63 ans au pic épidémique, et même à 60 ans en Ile-de-France.
“Nous ne sommes pas au courant de tout, mais monter une polémique à partir des chiffres qui sont présentés, c’est un non-sens, déplore Jean-Michel Constantin, chef de service anesthésie-réanimation à l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) à Paris. Le coronavirus n’a pas modifié notre manière de réguler les patients, et nous n’avons reçu aucune directive en ce sens. Le tri en réanimation, c’est notre quotidien. La réanimation, c’est des souffrances inutiles si le malade n’a aucune chance de s’en sortir. Avec l’épidémie de coronavirus, on a évalué les patients par rapport à l’âge et aux comorbidités, comme on le fait d’habitude", poursuit le médecin.
Se baser sur l’état global du malade
Face à l’afflux de personnes âgées touchées par la Covid-19, son service se rend compte que les taux de mortalité en réanimation étaient aux alentours de 100% pour les plus de 80 ans, et de l’ordre de 90% pour les plus de 75 ans. Pour ce type de profil, les soignants ont pu alors proposer de la ventilation non-invasive, de l’oxygénothérapie ou un accompagnement en soin palliatif, en se basant sur l’état global du malade. “On a pris des patients de 90 ans en réanimation si leur état global était bon, et on n’a jamais écarté les personnes âgées des services de réanimation sur leur simple carte d’identité. Par ailleurs, lorsqu’on ne prenait pas un patient en réanimation, on l’orientait vers d’autres services, sans abandonner la prise en charge. C’est ce qui explique la baisse de l’âge médian des patients hospitalisés en réanimation au sein de la région parisienne", détaille encore Jean-Michel Constantin, avant de conclure: “L’hôpital n’a pas failli.”
L’idée d’un tri des personnes âgées par le personnel soignant est dénoncée par le Comité consultatif national d’éthique depuis 2018. Dans une note, l’instance parle “d’âgisme", en prenant notamment pour exemple la prise en charge de nos aînés dans les services d’urgence, où “les personnels soignants n’ont pas tendance à s’occuper en priorité" des personnes âgées, du fait de leurs difficultés à exprimer rapidement les symptômes qui ont motivé leur venue, ce qui peut in fine causer une aggravation de l’état et “générer encore plus de vulnérabilité".
Suite à l’épidémie de coronavirus, la polémique a été relancée par Éric Ciotti (LR), président de la commission d’enquête parlementaire sur l’impact, la gestion et les conséquences de l’épidémie du Covid-19. “Il y a eu une forme de régulation qui, sans le dire, a privé d’accès à l’hôpital des personnes âgées (…) Beaucoup auraient pu vraisemblablement être sauvées. C’est grave", dénonce le député des Alpes-Maritimes dans Le Monde. Lors de l’audition du professeur Jérôme Salomon, directeur général de la Santé (DGS), Éric Ciotti demande : “Des médecins coordonnateurs d’établissements médicaux sociaux [lui] ont fait part de difficultés de la régulation pour la prise en charge de leurs malades qui se sont vu opposer des refus. Ces refus relevaient-ils de la décision du régulateur du 15, ou était-ce une consigne ?"
Un état trop grave “pour pouvoir tirer bénéfice des soins de réanimation”
Selon une note que nous nous sommes procurés, intitulée Réévaluation secondaire et alternatives à la réanimation, il y aurait bien eu des consignes transmises à la Direction Générale de la Santé pour orienter les prises en charge des malades en réanimation, mais elles n’étaient pas centrées sur l’âge.
“Sont considérés comme vulnérables tous les adultes, quel que soit leur âge, présentant une ou plusieurs pathologies chroniques ayant des répercussions sur leur capacité à subvenir à leurs besoins de la vie quotidienne (se lever, se laver, manger, éliminer, s’habiller, évalués par les grilles d’activité de la vie quotidienne comme l’ADL de Katz) et sur leur autonomie décisionnelle", explique la gériatre et docteure en éthique Sophie Moulias dans sa contribution, validée par la COREB (Coordination opérationnelle risque épidémique et biologique).
Un patient hospitalisé en état de détresse respiratoire dans le cadre d’une infection virale à Covid-19 peut présenter un état trop grave “pour pouvoir tirer bénéfice des soins de réanimation. Il devra alors être pris en charge dans un service pouvant assurer une prise en charge palliative, jusqu’à des soins terminaux si besoin", poursuit Sophie Moulias. Elle invite les soignants à s’interroger : l’intervention thérapeutique ne fait-elle que prolonger l’agonie ? Quel bénéfice retirera le patient du traitement ? La qualité de vie future du patient est-elle compromise en cas de survie ?
La note liste aussi des critères objectifs, utilisés pour tenter de prédire une évolution défavorable, même en cas d’admission en soins critiques, et ainsi faciliter les décisions :
o Un score de fragilité supérieur ou égal à 4.
o Un score OMS supérieur ou égal à 2 (évaluation de la performance, NDLR).
o Une dénutrition modérée à sévère.
o Un score GIR inférieur ou égal à 2 (évaluation de l'autonomie, NDLR).
“On ne peut pas se contenter des chiffres”
“Il y a bien une forme d’âgisme en France, c’est un problème de fond qui est insupportable. Mais il n’y a pas eu d’âgisme au sens sanitaire du terme au pic de l’épidémie de coronavirus. Il y a peut-être eu quelques soignants qui ont paniqué par peur du manque de moyens, mais ce n’est pas l’hôpital qui a été au cœur du problème", analyse Olivier Guérin, président de la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG) et chef du pôle gérontologie du CHU de Nice (Alpes-Maritimes). “Pour savoir s'il y a eu ce type de dysfonctionnements, il faudrait faire des enquêtes très poussées sur le terrain, on ne peut pas se contenter des chiffres", conclut-il. Difficile aussi de déterminer si les Ehpad ont renoncé d’eux-mêmes à envoyer leurs résidents présentant des symptômes du coronavirus aux urgences.