Hébergementl de données médicales, aides en ligne pour trouver le « bon » traitement ou un médecin compétent, le secteur de la santé est de plus en plus prisé par les professionnels de l'internet.
Microsoft avait été le premier à dégainer, en ouvrant sa plateforme Healthvault en octobre dernier. Son rival Google vient de riposter en démarrant une première expérimentation de son projet Google Health dans une grande clinique de Cleveland. Boostés par le succès du web auprès du grand public pour la recherche d'informations médicales, les poids lourds américains de l'informatique et de l'internet se lancent dans des expériences de dossier médical en ligne.
Le marché, potentiellement énorme, est largement ouvert. Aux Etats-Unis, seulement une seule personne sur cinq dispose d'un dossier médical numérisé. Antécédents, résultats d'examens biologiques ou autres, liste des traitements médicaux Depuis quelques semaines, Google propose à des patients de la Cleveland Clinic d'inscrire leurs données médicales sur un serveur. Dans cette première phase de test, 1500 à 10 000 dossiers personnels virtuels seront constitués, ou plutôt transférés à partir du système de stockage informatique des données déjà en vigueur dans la Cleveland Clinic.
A terme, une palette de services personnalisés En cas de succès, Google envisage d'élargir le dispositif, en le rendant interopérable entre les différents acteurs de santé, et consultable en tout lieu, grâce à une identification par un simple mot de passe. « Nous pensons que les patients doivent être capables d'accéder et de gérer aisément les informations concernant leur propre santé », a justifié Marissa Mayer, vice-présidente d'une division de Google. A terme, la firme compte proposer aussi aux adeptes de Google Health une palette de services personnalisés : gestion des rendez-vous médicaux, renouvellements d'ordonnances, rappels de prise de médicaments De son côté, Microsoft a déjà réuni nombre de partenaires, hôpitaux mais aussi fabricants de dispositifs médicaux ou sociétés savantes, autour de sa plateforme Healthvault. Celle-ci se veut une interface entre particuliers et professionnels de santé, les premiers pouvant transférer directement leurs paramètres médicaux (tension artérielle, glycémie..) aux seconds. Google et Microsoft ne sont pas seuls à lorgner sur ce secteur lucratif. En 2007, Steve Case, co-fondateur d'AOL, a lui aussi lancé un portail santé, baptisé Revolution Health. A la fois base de données et d'informations médicales et réseau communautaire, la plate-forme propose notamment à ses abonnés de bénéficier des expériences d'autres internautes pour choisir médicaments et médecins Vraie révolution ou pas, le site fait en tout cas un tabac. En janvier, 256 millions de pages ont été consultées, propulsant Revolution Health au rang de leader de la santé sur l'internet. Pourtant, sur tous ces sites, les questions de la sécurisation des données et du respect de la vie privée sont loin d'être garanties. Des associations de défense de la vie privée tel le World Privacy Forum s'en sont d'ailleurs inquiétées ces derniers mois aux Etats-Unis. Sur sa page d'accueil d'Healthvault, Microsoft se borne à préciser que les données ne seront pas utilisées dans des buts commerciaux sauf demande préalable de la société et accord des personnes. Citoyens et médecins peuvent-ils se contenter d'une promesse aussi légère ?
En France, un carnet de vaccination électronique Plus timides ou plus prudentes, les sociétés françaises ne sont pas complètement absentes du secteur. En octobre 2007, l'opérateur Orange a démarré une première phase d'expérimentations de « monpass.santé », un carnet électronique de vaccination via une carte à puce, qui fournit aussi des relevés de prestations en ligne. Le système calcule les échéances vaccinales et envoie des alertes personnalisées par sms ou mail. Pour l'instant, il a été proposé aux salariés du groupe France Télécom adhérents à la Mutuelle générale d'une trentaine de départements. Plus de 10 000 carnets électroniques ont déjà été ouverts, avec un taux de satisfaction de 80%, selon Orange Business Services.
Dans les prochains mois, l'expérience sera étendue aux autres salariés du groupe, soit potentiellement 250 000 bénéficiaires. A l'avenir, le concept pourrait s'appliquer à d'autres domaines : suivi dentaire et optique, prévention des allergies. Il est aussi question d'un dossier personnel des interventions d'urgence. A l'horizon 2010, la carte "monpass.santé" pourrait remplacer la carte de tiers payant, souligne encore Orange.
Le dossier médical personnel (DMP), qui patine depuis plusieurs années, risque-t-il de se faire griller au poteau par de telles initiatives privées ? Jacques Sauret, directeur du Groupement d'intérêt public pour le dossier médical personnel juge plutôt que les deux types de service fonctionneront en synergie A condition que le dossier DMP avance sensiblement dans les deux à trois prochaines années.
Questions à Jacques Sauret, directeur du GIP-DMP (*)
Des systèmes complémentaires
Les projets de dossiers médicaux personnels proposés par Microsoft ou Google sont-ils comparables à le futur DMP ?
Jacques Sauret. Aujourd'hui, dans les phases d'expérimentation qui sont les leurs, les services de Microsoft et Google sont essentiellement orientés vers les patients. Même si, ni l'un ni l'autre n'excluent d'associer les professionnels de santé. Leur c½ur de cible, ce sont des données transmises par les patients pour les patients. Si un projet de type DMP est relancé en France, et c'est l'objectif du gouvernement, on ne sera probablement pas dans un dispositif de concurrence mais plutôt dans un système de synergie et de complémentarité.
Le DMP, qui a pris tant de retard, ne risque-t-il pas de se faire doubler par ces dossiers « privés » ? J.S. S'il n'y a pas de dispositif ou du moins de projet structuré dans les deux à trois ans à venir permettant de partager des données médicales, il est évident que certains de nos concitoyens seront intéressés par des offres comme celles de Google ou Microsoft. Ces systèmes pourraient aussi être alimentés par les professionnels de santé, Google et Microsoft y travaillent. Donc, ils pourraient étendre leurs services, mais si nous faisons ce que nous avons à faire, ils ne seront pas incités à le faire.
Quand le dossier médical personnel sera mis en place, les patients pourront-ils recourir parallèlement à des plates-formes privées ? J.S. Pour le gouvernement, le but de ce système de partage de données est une meilleure prise en charge médicale des malades. Il n'y aura pas d'utilisation à des fins de contrôle ou de business. Le patient, lui, pourra faire ce qu'il veut des données qu'il récupère par son navigateur, sur son ordinateur. C'est son dossier, qu'il est libre de transmettre en entier ou en partie à une société pour un service. Là, on sort de la législation de 2004, et s'il y a une demande de rétribution financière, c'est la loi du marché qui s'applique. Dès lors que les règles d'éthique et de bonne morale sont respectées, il me semble que les pouvoirs publics n'ont pas s' opposer à de telles pratiques.
Entretien avec S.C.
(*) Groupement d'intérêt public pour le dossier médical personnel
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