Du chaos sort parfois l'espoir. Alors que les États-Unis et l'Amérique latine comptabilisent plus de la moitié des contaminations et des décès dans le monde liés à la Covid-19, de nombreux laboratoires signes de partenariat de production, diffusion et de tests de vaccin contre le coronavirus sur les deux continents. Parmi les six “candidats-vaccins” les plus avancés, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la moitié a choisi de recruter des volontaires brésiliens et états-uniens. Ces deux pays sont les plus contaminés et endeuillés au monde. L'alliance entre le groupe pharmaceutique britannico-suédois AstraZeneca et l'université d'Oxford (Royaume-Uni) entend recruter 2 000 volontaires au Brésil et 30 000 aux États-Unis. Le Chinois Sinovac a conclu un partenariat avec l'Institut Butantan — l'équivalent de l'Institut Pasteur au Brésil — et veut tester son vaccin sur 9 000 soignants brésiliens. L'entreprise étasunienne Moderna TX prévoit de tester le sien sur 30 000 compatriotes, tandis que le new-yorkais Pfizer projette d'inoculer son vaccin à 9 000 personnes en Argentine, Brésil et États-Unis.
Pourquoi en tel engouement ? Ces six laboratoires ont atteint la phase III de test, celle avant l’homologation du traitement. Le but est de s’assurer que le vaccin développé est sans danger pour l’Homme, efficace, et qu'il possède un effet durable, en plus de déterminer la dose optimale. À ce stade, le médicament est comparé à d'autres traitements et à un placebo. Or, pour vérifier cette efficacité, la meilleure façon est de l'appliquer dans des pays où le virus circule énormément, ce qui est le cas de la majorité des pays des continents américains.
Partage du risque
Cependant, utiliser une partie de la population — volontaire — comme cobaye passe souvent par un partenariat local. Le Brésil, en participant au développement d'un probable vaccin contre la Covid-19, s'assure une livraison rapide du produit alors que la demande risque de créer une tension internationale. Ironie du sort, puisque son président, Jair Bosonaro, reste “sceptique” face à la science et n'hésite pas à qualifier cette pandémie mondiale de “petite grippe”.
Les laboratoires en manque de financement et les pays qui recherchent une solution pour endiguer la pandémie multiplient les partenariats. C'est notamment le cas de l'Institut de technologie de Parana (Brésil), qui a signé un protocole d'accord avec le fond souverain russe RDIF début août afin que les scientifiques russes puissent tester leur prototype de vaccin controversé "Spoutnik V" sur 2 000 Brésiliens. En cas de succès, l'État brésilien, tout comme Cuba, produira le vaccin et garantira son accès immédiat à sa population. De même, les gouvernements argentin et mexicain ont signé la semaine dernière un accord avec l'entreprise européenne AstraZeneca pour produire et distribuer le candidat-vaccin en Amérique latine grâce au financement de la Fondation Slim, du magnat des télécoms mexicain Carlos Slim, homme le plus riche d'Amérique latine. “C'est une opportunité pour toute l'Amérique latine, qui n'attendra pas que les premières doses soient vendues en premier aux pays développés et qu'elle soit obligée d'attendre en fin de queue”, déclare Graciela Ciccia, directrice R&D du groupe argentin Insud, partenaire de ce contrat. Un grand espoir qui comporte également un risque sans précédent : celui que le vaccin financé ne donne pas les résultats escomptés. Face à cette concurrence du chacun pour soi dans l'accès au vaccin, l'OMS rappelle qu'il est possible qu'aucun vaccin ne soit trouvé et appelle à lutter contre le “nationalisme vaccinal”. En vain semble-t-il.