Apprendre à manipuler son hochet, à le passer d’une main à l’autre, puis empiler maladroitement des cubes ou observer une balle rouler et tenter de l’attraper. Ces petits apprentissages ponctuent le quotidien de tous les bébés lors des premiers mois de leur vie.
Mais comment se fait-il que d’un jour à l’autre, les tout-petits soient capables de réaliser de telles actions et que, le lendemain, ils ne semblent pas s’en souvenir ? Des chercheurs de l’université de la Ruhr à Bochum (Allemagne) semblent avoir trouvé la réponse : tout dépend de l’humeur dans laquelle ils acquièrent ces apprentissages.
De précédentes études menées auprès d'adultes avaient montré que les humeurs affectent la pensée. “Etonnamment, nous n’avons pas encore compris si ces changements d'humeur affectent l'apprentissage et la mémoire des bébés", explique le professeur Sabine Seehagen, responsable du groupe de recherche sur la psychologie du développement et autrice principale de l'étude qui vient de paraître dans la revue Child Development.
Une mémoire bloquée
Afin de savoir si ce phénomène, connu sous le nom de mémoire dépendante de l'état, existe également chez les bébés, les chercheurs ont étudié 96 enfants âgés de neuf mois. Dans un premier temps, les bébés ont soit effectué des activités tranquilles avec leur parent, comme regarder des livres d'images, soit ils se sont déchaînés en sautillant. Ils ont dans un second temps observé un chercheur effectuant des actions avec une marionnette à main, apprenant ainsi à le faire. “L'aspect qui nous intéressait était de savoir si les enfants étaient capables ou non d'imiter les actions observées un quart d'heure plus tard", explique Sabine Seehagen. Juste avant le début du test, certains bébés ont été mis dans le même état que lorsqu'ils apprenaient, tandis que d'autres ont été mis dans un état d'esprit différent en jouant à des jeux opposés.
Les scientifiques ont alors constaté que les bébés qui étaient d’une humeur différente de lorsqu’ils apprenaient ne pouvaient pas imiter les actions de la marionnette. En revanche, la performance de mémoire était deux fois et demie plus élevée s'ils étaient d'humeur identique lorsqu'ils apprenaient et lorsqu'ils se rappelaient ce qu'ils avaient appris. “Cela montre que les fluctuations de l'état interne à cet âge peuvent empêcher l'accès au contenu de la mémoire”, analyse la professeure Seehagen.
Pour les auteurs de l’étude, cela peut notamment expliquer le fait que les adultes ne se souviennent d'aucune expérience de leur petite enfance. Les parents peuvent ainsi comprendre pourquoi leurs enfants peuvent se souvenir de certaines choses et ne peuvent pas se rappeler d'autres : certaines choses qu'un enfant a apprises dans le calme peuvent ne plus être accessibles lorsque l'enfant est actif.
Néanmoins, l’étude comporte certains biais, notamment le fait qu’un seul groupe d’âge ait été examiné. “Des recherches supplémentaires seront nécessaires pour explorer comment la relation entre l'humeur et la mémoire se développe avec l'âge", conclut Sabine Seehagen.