Imaginez la victime d'un infarctus exécuter elle-même son massage cardiaque... « Si c'était aussi simple, l'hôpital ne recruterait pas. » Ce message émane du ministère de la Santé qui lance une campagne de promotion des métiers hospitaliers et annonce 200 000 emplois à pourvoir au cours des cinq prochaines années. Spots télévisés (diffusés du 21 février au 6 mars), site Internet, numéro de téléphone, la campagne de communication vise essentiellement les lycéens et les étudiants pour leur faire découvrir « la diversité et la richesse » de l'hôpital. « L'hôpital a besoin de vous », leur signalent les institutions publiques. La formule rappelle celle des sergents recruteurs en période de mobilisation générale. Est-ce aussi urgent ? Deux raisons ont motivé le ministère de la Santé : faire face à une demande de soins grandissante en lien avec le vieillissement de la population, et compenser les départs à retraite des personnels hopitaliers. La génération baby-boom s'en va. « En 2015, un agent sur deux de la fonction publique hospitalière sera parti à la retraite », indique l'Observatoire nationale des emplois et métiers de la fonction publique. Du coup, le ministère évalue le nombre de personnel non médical à embaucher dans la fonction publique hospitalière à 140 000, et à environ 50 000 pour les cliniques et les établissements privés participant au service public hospitalier (PSPH). Les métiers les plus en danger de déficit sont ceux des infirmières, les aides-soignantes, les manipulateurs d'électrocardiologie et les cadres de santé. Selon les données de l'Observatoire, 102 000 infirmières (soins généraux et spécialités) devraient partir à la retraite jusqu'en 2015. Les établissements auront aussi besoin de 18 000 postes de médecins, pharmaciens, dentistes et sages-femmes. Une estimation qui met tous ces professionnels dans le même sac… « Le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers vient juste de se mettre en place, précise-t-on au cabinet de Roselyne Bachelot. Ils travaillent à établir une cartographie des besoins en fonction des spécialités médicales. Le Centre de gestion pourra communiquer d'ici quelques mois. » Donc, c'est le flou sur les besoins médicaux. En cette période où une bonne part de l'action politique est consacrée à la lutte contre le chômage (7,9%), une telle annonce apparaît comme une aubaine. Mais tout le monde ne s'accorde pas sur le diagnostic. Pour la Fédération CGT santé et action sociale, « l'objectif reste petit bras. Il s'agit exclusivement de pourvoir les départs à la retraite prévus dans les cinq ans. Il n'y a rien sur les milliers de postes vacants aujourd'hui, rien sur les milliers de professionnels qui n'exercent plus leurs métiers. » Bref, ce n'est pas assez. Du côté de la Fédération CFDT santé sociaux, Yolande Briand s'interroge d'abord sur la gestion des ressources humaines. « L'hôpital a surtout un problème de pilotage national et de management local. Les réformes ne sont pas très lisibles par les personnels. Ils sont peu impliqués dans les changements. En outre, les compétences des uns et des autres ne sont pas toujours bien définies, et récompensées. Par conséquent, avec un taux moyen de 15%, l'absentéisme est trop important. » « Les recrutements s'essoufflent, le désenchantement hospitalier n'a jamais été aussi grand », estime le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésiste réanimateur (SNPHAR) qui a participé au mouvement de grève lancé par les urgentistes en décembre dernier. « L'hôpital souffre d'un manque d'attractivité auprès des médecins, qui se dirigent vers l'activité libérale, juge Rachel Bocher, présidente de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH). Sur les 30 000 postes de praticiens hospitaliers, il manquait 3500 professionnels en 2001, juste avant les 35 heures. C'est encore plus le cas aujourd'hui. Il y a des carences en chirurgie, en anesthésie réanimation, en psychiatrie… L'essentiel pour l'hôpital n'est pas seulement de recruter mais de savoir garder les médecins. Il faut revoir les conditions de travail. » Problèmes de pilotage, problème d'organisation du travail, mais est-ce raisonnable de recruter en période de déficit ? Près d'un hôpital sur deux est aujourd'hui dans le rouge. La fédération des hôpitaux de France, qui regroupe l'ensemble des établissements publics, indique que les hôpitaux avaient besoin de 1,5 milliard d'euros pour boucler leur budget en 2006. Or le personnel des hôpitaux représentent 70% des charges d'exploitation. Certains ne s'acquittent plus en temps voulu de la taxe sur les salaires due à l'Etat. La Cour des comptes estimait qu'entre 2005 et 2006, 26% des hôpitaux reportait cette taxe. L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) s'est récemment inquiétée du gaspillage des aides financières apportées aux établissements. Selon l'IGAS, les directeurs ne profitent pas de la rotation des effectifs, ni de l'augmentation des départs en retraite pour revoir les effectifs. « A Gérardmer, pointe l'IGAS dans un rapport, après la fermeture de la chirurgie, la rémunéation d'un chirurgien et d'un anesthésiste continue de peser sur le budget de l'hôpital de 245 000 euros par an ».
Trop de monde à l'hôpital ? « Surtout, il y a trop de métiers à l'hôpital (183 d'après le répertoire établi par le ministère), estime Robert Holcman, spécialiste de l'économie et de la gestion des services de santé au Conservatoire national des arts et métiers. Et, les établissements de santé publics et privés sont trop nombreux (3223 établissements en 2007). » Même point de vue, pour Jean-Loup Durousset, le président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP).« C'est toujours positif de promouvoir les métiers hospitaliers, mais cela ne doit pas cacher une nécessaire recomposition hospitalière. Certes, le secteur des soins de suite, de la gériatrie et de la psychiatrie seront amenés à se développer, mais globalement nous devons avoir moins d'établissements en France. En outre, cette campagne de recrutement ne dit pas que les jeunes candidats devront passer un concours. C'est le cas pour entrer en institut de formation de soins infimiers, pour être reçu en deuxième année de médecine… Or de nombreux jeunes se présentent déjà dans ces filières, mais ils ne sont pas toujours reçus. » Pour le président de la FHP il faut aussi privilégier l'évolution de ceux qui travaillent déjà dans les établissements, notamment par le biais de la validation des acquis de l'expérience (VAE), un dispositif déjà en place pour obtenir le diplôme d'aide-soignante mais pas pour celui d'infirmière. Même son de cloche, à la Fédération des établissements privés non lucratifs (FEHAP) qui insiste sur propres dispositifs de formation et sa convention collective rénovée en 2003. Ainsi, pour les acteurs du monde hospitalier, l'hôpital ne doit pas seulement compter sur une campagne de recrutements pour réanimer la motivation de ses personnels. Questions à Robert Holcman (1), auteur de « La fin de l'hôpital public ? », Editions Lamarre, 2007. « Une carence de pilotage »
Le chiffre de 200 000 postes à pourvoir correspond à une réalité ? Robert Holcman. Oui ,quand on regarde le nombre d'établissements. Dès qu'un établissement existe, même à activité zéro, il faut un certain nombre de personnel pour pouvoir accueillir des patients en toute sécurité. Or il se trouve qu'en France, le nombre d'établissements publics et privés est extrêmement élevé. Et par voie de conséquence, ils mobilisent un nombre élevé de personnels. Ainsi, nous avons une situation paradoxale d'avoir à la fois un nombre global de personnel de soins très important et mais quand on rapporte cette totalité par rapport au nombre de lits on a des carences de personnel. Donc, oui au recrutement, mais étant entendu qu'il va y avoir une baisse du nombre d'établissements...
Des besoins dans certains métiers ? R. H. En effet, des besoins se font sentir principalement dans trois métiers : les infirmières diplômées d'Etat généralistes, les masseurs-kinésithérapeutes, et les manipulateurs en électro-radiologie. Par contre dans d'autres types de métiers, on a des excès et des choix à faire. 183 métiers sont recensés dont une quarantaine relevant du soin. En revanche, pour le reste ce sont des fonctions supports et parfois assez décalées avec le milieu hospitalier : on trouve des pâtissiers, des chauffeurs-livreurs… On compte dans les services de personnels ouvriers techniques 87 000 agents, alors que dans les personnels médico-techniques on en a 35 000. Ce qui veut dire qu'on a un peu plus du double d'agents consacrés à l'entretien des fenêtres, des portes, des voitures dans la fonction publique hospitalière que d'agents consacrés à des scanners, aux IRM, à la pharmacie, ou dans les laboratoires.
Vous voulez dire qu'il n'y a pas de cohérence… R.H. Le système souffre surtout d'une carence de pilotage. Par exemple, on a décidé de maintenir, en 2006, le privilège de recrutement et d'affectation des praticiens hospitaliers au niveau du ministère de la Santé (ndlr : Centre national de gestion) alors qu'en principe il aurait dû être déconcentré au niveau des établissements. Et à l'inverse, s'agissant des non renouvellements de départs à la retraite qui permettraient de faire varier notablement les volumes de personnels employés dans les établissements, on continue de laisser la décision au niveau de l'établissement. Or, l'expérience montre bien que les chefs d'établisements ne sont pas en mesure de prendre ces décisions, parce que ne pas renouveller les personnels qui partent à la retraite, c'est inévitablement affronter un conflit social ce qu'aucun directeur ne souhaite avoir à faire. Du coup, ce serait beaucoup mieux d'avoir un pilotage centralisé. Entretien avec M.G. (1) Spécialiste de l'économie et de la gestion des services de santé, chargé de mission au Conservatoire national des arts et métiers, ancien directeur des ressources humaines à l'hôpital Raymond Poincaré (2003-2004). |