Face à la crise sanitaire et économique, les psychiatres s’inquiètent de la santé mentale des Français. Le Pr Antoine Pelissolo, psychiatre, professeur des Universités et Praticien Hospitalier (PU-PH Université Paris-Est Créteil), constate, avec ses collègues, une augmentation des consultations depuis le début de l’épidémie de coronavirus, corrélée avec un pic des hospitalisations en urgence au cours de juillet et août en Ile-de-France.
"Deux processus d’aggravation"
"Il y a deux processus d’aggravation", explique le spécialiste. "D’abord, on voit plus de patients qui n’avaient jamais consulté jusqu’ici pour des troubles psychiatriques. Ensuite, les patients souffrant déjà d’une pathologie mentale voient leur état s’aggraver, notamment du fait que leur suivi a été interrompu à cause de la crise sanitaire".
L’anxiété pathologique, la dépression, les insomnies et les addictions sont des motifs de consultation courants, avec à la marge les troubles psychotiques. "Quand les problèmes gènent le quotidien, ne se résolvent pas tout seul et s’installent dans le temps, il faut demander de l’aide", poursuit le professionnel de santé. "Plus on attend, plus le trouble psychiatrique est difficile à traiter. La dégradation de la santé mentale des Français n’est pas à prendre à la légère, car certains troubles peuvent conduire au suicide", avertit Antoine Pelissolo.
"Il ne faudrait pas qu’une crise sanitaire en cache une autre"
Une inquiétude partagée avec Michel Debout, psychiatre et professeur de médecine légale, spécialiste de la prévention du suicide. Dans les colonnes des Échos, le médecin rappelle "le lien entre crise économique et suicide. C’est incontestable, cela a été documenté dès la crise de 1929, et plus récemment lors de la crise de 2008. Il ne faudrait pas qu’une crise sanitaire en cache une autre. Et celle-ci pourrait avoir des conséquences dévastatrices non pas sur les personnes âgées, mais sur les travailleurs actifs".
A l'échelle mondiale, "le virus de la Covid-19 n'attaque pas seulement notre santé physique, elle augmente également les souffrances psychologiques", poursuit António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, dans un message vidéo présentant un rapport sur l'impact de l'épidémie de coronavirus sur la santé mentale. Le document explique que "la détresse psychologique au sein des populations est répandue et qu’une augmentation à long terme du nombre et de la gravité des problèmes de santé mentale est probable".
Des données présentées par Santé Publique France indiquent qu’un reconfinement, même local, serait particulièrement dommageable. Lors de la première semaine de confinement (du 23 au 25 mars), la prévalence de l'anxiété des Français était de 26,7%, soit un taux deux fois supérieur à celui observé dans une enquête précédente (13,5% en 2017).
Un risque plus élevé d'anxiété était associé :
1/ à des caractéristiques sociodémographiques : être une femme, un parent d'enfant(s) de 16 ans ou moins, déclarer une situation financière difficile ;
2/ aux conditions de vie liées à la situation épidémique : télétravailler en période de confinement et avoir un proche malade ou ayant eu des symptômes du Covid-19 ;
3/ aux connaissances, perceptions et comportements face au Covid-19 : percevoir la Covid-19 comme une maladie grave et se sentir vulnérable face à cette maladie. À l'inverse, avoir une bonne connaissance des modes de transmission de la maladie, respecter les mesures de confinement, se sentir capable d'adopter les mesures de protection et avoir confiance dans l'action des pouvoirs publics diminuaient le risque d'anxiété.
"J'ai peur qu’on arrive bientôt à saturation"
Antoine Pelissolo ajoute : "il faudrait aussi augmenter le personnel soignant psychiatrique au sein des structures de soin, car j’ai peur qu’on arrive bientôt à saturation. La téléconsultation, ça peut permettre de traiter certains cas et de désengorger les flux de patients, mais ça ne remplace pas un face-à-face, les interactions sont beaucoup moins riches".
En juin dernier, l’Observatoire national du suicide avait plaidé pour la mise en place d’un comité sur le risque suicidaire, qui n’a pour l’instant pas été mis en place.