Une « perte de chance » pour de nombreux patients. Le constat est grave. Il a été rendu public à l’automne 2018 à travers une tribune publiée dans le journal Le Monde et signée par de nombreux cancérologues dénonçant la difficulté de faire bénéficier leurs patients de l’accès aux traitements innovants, notamment dans la prise en charge des cancers de la vessie et du poumon. En cause, l’impossibilité de prescrire des médicaments en lien direct avec leur prix trop élevé constituant un obstacle dans le processus d’autorisation de mise sur le marché.
L’affaire du prix des médicaments innovants avait véritablement éclaté en 2004 avec l’arrivée sur le marché d’un nouveau traitement contre l’hépatite C. Tarif de la cure : 46 000 euros. Résultat, des associations de patients indignées et un bras de fer engagé entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) qui fixe en France le prix des médicaments et le laboratoire américain. Au final, de longues négociations qui ont abouti à l’obligation pour ce laboratoire de rétrocéder à l’Assurance Maladie une partie de l’argent dépensé pour couvrir les prescriptions à partir d’un certain seuil de patients soignés et la décision prise par le ministère de la Santé de plafonner l’enveloppe de dépenses consacrées à cette maladie. Des mesures qui, ajoutées à l’arrivée de molécules concurrentes, ont contribué à faire baisser de près de 40% le coût de ces traitements.
Des traitements qui coûtent des centaines de milliers d'euros
Mais la polémique sur le prix des médicaments innovants n’est pas éteinte pour autant. Les traitements d’immunothérapie dans la prise en charge du cancer sont eux-aussi au coeur du débat avec des coûts qui atteignent parfois plusieurs centaines de milliers d’euros. Des sommes astronomiques mais à mettre en regard avec une augmentation très sensible de la survie des patients et de leur qualité de vie, notion dont l’évaluation économique est évidemment complexe ! « Aux Etats-Unis on vient de mettre au point un traitement qui corrige un défaut génomique responsable d’une maladie qui handicape toute une vie. Cela consiste en une seule injection qui guérit totalement le patient mais dont le prix est de 2 millions de dollars … Si on fait la somme de ce que coûterait la prise en charge de ce malade tout au long de sa vie, cela n’est pas si cher ! », explique ainsi Jean-Jacques Zambrowsky, médecin et économiste de la Santé.
Mais si, à partir de ce type de raisonnement, certains médecins jugent que le prix des médicaments innovants n’est pas un sujet dans l’accès aux soins– « Je ne connais pas de malades qui n’auraient pas accès aux soins en raison de leur coût », affirme pour sa part le Professeur Guy Vallancien-, d’autres dénoncent à ce propos un dysfonctionnement grave de notre système de santé. Dans un débat organisé par Fréquence Médicale à l’occasion du Congrès Européen de cancérologie (ESMO) en novembre 2018 à Munich, les professeurs Nicolas Girard (pneumologue à l’Institut Curie) et Gilles Freyer (responsable de l’institut de cancérologie des Hospices Civiles de Lyon), n’hésitaient pas à parler de « régression » dans l’accès aux soins. « Avec le système des ATU (autorisations temporaires d’utilisation permettant un accès au médicament avant que soit délivrée l’autorisation de mise sur le marché, ndlr) on peut être en France dans les premiers à disposer de traitements innovants mais on est bloqués sur des médicaments pour lesquels on trouve de nouvelle indications », déplorait Gille Freyer
Contrainte économique sur les dépenses de santé
L’accusé principal dans ce dossier, le processus qui aboutit en France à la mise sur le marché d’un médicament innovant et à son remboursement par l’Assurance maladie et dans lequel le prix peut constituer un frein en raison de la contrainte économique qui pèse sur les dépenses de santé. « L’ONDAM (objectif national des dépenses maladie) a été mis en place il y a 25 ans, avant qu’émerge la proportion aujourd’hui beaucoup plus importante des maladies chroniques et les avancées qui permettent des traitements beaucoup plus ciblés dans les maladies graves, il faudrait regarder les choses avec un point de vue différent, considérer que la santé est un capital pour un pays et transformer le système d’assurance maladie en système d’assurance santé qui intègre davantage la prévention et les bénéfices des traitement innovants », suggère Jean-Jacques Zambrowsky.
Parallèlement à ces particularités françaises, se pose évidemment aussi la question de la justification du prix auquel les laboratoires proposent leurs traitements innovants. L’idée circule dans le grand public d’abus en la matière sur fond de diabolisation de la « big-pharma » et de ses supposés super-profits. Une thèse que relativise tout de suite Jean-Jacques Zambrowsky : « L’industrie de va pas trop loin, c’est une industrie du risque dans laquelle la probabilité de l’échec est forte, les investissements sur un traitement innovant peuvent atteindre de 500 millions à un milliard de dollar sur 10 ans et si cela peut parfois déboucher sur un jackpot, il y a aussi beaucoup d’essais cliniques qui n’aboutissent pas et il faut payer la capacité des laboratoires à prendre le risque de poursuivre leur activité de recherche», souligne l’économiste de la Santé. Sans oublier que sur la prise en charge des maladies les plus graves, les avancées de cette recherche amènent à proposer des traitements de plus en plus ciblés, notamment dans le cancer, qui ne peuvent s’adresser qu’à quelques dizaines de milliers de patients. « Nous ne sommes plus au temps des blockbusters où l’industrie mettait au point des molécules très largement prescrites ! », confirme Jean-Jacques Zambrowsky.
Un rapport de force entre l'industrie et les payeurs
Alors comment trouver le « juste prix » pour assurer l’accès aux médicaments innovants de tous les patients sans faire exploser les dépenses de santé ? « Dans les discussions sur la fixation des prix et la prise en charge par l’Assurance maladie, il y a trop souvent une posture de rapport de force entre l’industrie et les organismes payeurs », déplore Jean-Jacques Zambrowsky qui espère, après la prise de position sur ces sujets du gouvernement français lors de la réunion du CSIS (Conseil Stratégique des Industries de Santé) de juillet 2018, une « prise de conscience permettant un dialogue plus ouvert et plus serein ».
Et de citer l’exemple de ce qui a finalement permis dans l’affaire du traitement contre l’hépatite C d’aboutir à une baisse du prix : « De plus en plus de systèmes de santé en Europe acceptent le principe qui a prévalu dans cette affaire, à savoir une forme de partage du risque qui amène le laboratoire, lorsque le traitement fait effectivement la preuve de son utilité et de son efficacité pour les patients, à rétrocéder aux organismes payeurs une partie des sommes dépensées pour sa prise en charge ».
Mais Jean-Jacques Zambrowsky ne peut s’empêcher de déplorer que la situation n’évolue pas très vite dans ce sens en France en reconnaissant toutefois le signe positif des choix effectués en matière de dépenses de santé – « L’ONDAM reste chaque année en avance sur le rythme de la croissance économique, ce qui est déjà un effort énorme même s’il reste insuffisant »- et en espérant, « même si l’on tarde à travailler sur l’efficience des soins » que soit rapidement atteint un objectif fixé par Bernard Kouchner lorsqu’il était ministre de la Santé : non pas dépenser moins mais dépenser mieux.
Sujets réalisé à partir du dossier du LEEM "100 questions sur le médicament"
Retrouvez ci-dessous la fiche du LEEM : "Les médicaments innovants sont-ils vraiment si chers ?"
https://www.leem.org/100-questions/les-medicaments-innovants-sont-ils-vraiment-si-chers