- En 2017, en Europe, la France a participé à 11,9% de ces études (soit 313 essais), contre 14,2% en 2015.
- En France, il faut compter sept mois pour qu'un essai clinique se mette en place, soit beaucoup plus que dans les autres pays.
- La crise de la Covid a pourtant montré qu'il était possible d'aller beaucoup plus vite en allégeant les aléas administratifs.
A l’heure où le monde affronte une pandémie telle qu’il n’en avait encore jamais connu, les chercheurs sont en compétition pour trouver un traitement pour venir à bout de la Covid-19. A la veille du confinement en France, soit trois mois après l’apparition du SARS-CoV-2 en Chine, plus de 800 études avaient déjà été réalisées pour trouver un vaccin à échelle planétaire, selon The Lancet. Parmi elles, 330 avaient notamment lieu en Chine, 125 aux Etats-Unis et 45 en France. Un chiffre peu impressionnant pour un pays pourtant réputé pour son excellence médicale.
Mais force est de constater que ce déclin ne date pas de l’apparition de la pandémie actuelle. Entre 2015 et 2017, la Zone Etats-Unis/Canada a participé à 57% des nouveaux essais industriels réalisés, loin devant l’Europe (38%), selon le LEEM (le syndicat français de l’industrie pharmaceutique). En 2017, sur le vieux continent, la France a quant à elle participé à 11,9% de ces études (soit 313 essais), contre 14,2% en 2015. Aujourd’hui, elle arrive donc en quatrième position dans ce domaine derrière le Royaume-Uni (17,9%), l’Allemagne (17,3%) et l’Espagne (14,5%).
Un recul surtout attribué à la lenteur nécessaire pour mettre en place un essai clinique. En effet, en France, il faut compter sept mois entre une première demande d’autorisation et l’inclusion du premier patient dans un essai.
Car ce dernier ne peut être lancé qu’après que le promoteur a reçu l’accord de l’Agence nationale pour la sécurité du médicament (ANSM) et des comités de protection des personnes (CPP), en charge d’évaluer les risques. Et si en 2018, les pouvoirs publics, le LEEM et l’ANSM ont travaillé à réduire les délais d’autorisation de cette dernière à 46 jours, les choses se sont en revanche compliquées du côté des CPP.
Un tirage au sort regrettable
« Dans le passé, les CPP étaient spécialisés en cardiologie ou en cancérologie, par exemple. Les promoteurs d’essais cliniques savaient donc exactement à qui ils devaient s’adresser selon les protocoles de recherche. Mais il y a deux ans, une loi a été votée sur le tirage au sort des CPP. Ces derniers se sont alors retrouvés à devoir analyser des protocoles qui n’étaient pas dans leur domaine de compétence et cela a entraîné des délais dans les rendus de décision», explique Christophe Le Tourneau, oncologue médical en charge du département d’essais cliniques précoces de l’Institut Curie, à Pourquoi Docteur.
« C’est ainsi que les Français sont devenus moins compétitifs que d’autres pays chez qui les industriels ont préféré développer leurs molécules », renchérit Fabrice Barlesi, directeur médical et de la recherche clinique à Gustave Roussy. Pour le spécialiste, « il faudrait des bureaux spécialisés dans les CPP, suffisamment étoffés en terme de ressources humaines. A l’heure actuelle, ces comités s’arrêtent au mois d’août. Aux Etats-Unis, en Allemagne ou au Canada, ce genre de choses n’existent pas ». Aussi sans doute faudrait-il rémunérer les personnels des CPP, actuellement bénévoles contrairement aux autres pays, suggère Christophe Le Tourneau.
Une excellence en matière d’oncologie
Mais la recherche clinique française reste tout de même une force avec laquelle il faut compter. Les Français défrayent parfois la clinique à l’international. Comme par exemple en 2013 quand la société CARMAT a vu son cœur totalement artificiel implanté dans un patient de 76 ans à l’l'Hôpital Européen Georges Pompidou à Paris, une première mondiale. Au-delà de cet essai en particulier, la France excelle en matière de chirurgie et d’oncologie. D’après le LEEM, elle participe à 19% des essais lancés dans le monde et à 45 % des essais industriels lancés sur le territoire pour cette pathologie.
Selon Fabrice Barlesi, cette reconnaissance s’est notamment faite grâce aux plateformes de génomique moléculaire mises en place lors du premier/deuxième plan cancer dans la période 2006-2010. « Mais ces dernières années, nous avons eu moins d’innovations dans ce domaine là et les autres nous ont rattrapés », déplore-t-il. Malgré tout, de nombreuses études d’envergure ont toujours lieu tels que les essais SHIVA et SAPHIR, promus par Unicancer, « extrêmement importants sur le plan de l’évaluation de la médecine de précision qui est l’un des enjeux majeurs », par exemple.
« Je pense qu’on a les moyens de bien travailler. Mais je travaille dans un centre de lutte contre le cancer et il s’agit d’établissements à part. Il y a beaucoup plus de flexibilité quant à l’organisation du travail mais à l’hôpital public où je suis passé quelques années, c’est beaucoup plus complexe et il y aurait sans doute des circuits à fluidifier. Mais malgré tout cela, la France arrive à trouver sa place. Si ces freins étaient levés, elle serait vraiment excellente », s’enthousiasme Christophe Le Tourneau.
Avec 14 % des essais réalisés, les maladies rares sont aussi un domaine d’excellence reconnu, assure le LEEM qui déplore en revanche le manque d’études dans le secteur de la neurologie/psychiatrie qui peinent à recruter des patients.
L’importance d’avoir accès aux innovations le plus rapidement possible
L’un des principaux enjeux dans l’attractivité de la France en matière d’essais clinique est de permettre aux patients de tester de nouveaux médicaments ayant déjà fait preuve de leur efficacité mais pas encore mis sur le marché français.
« Aux Etats-Unis, la commercialisation d’un médicament après un essai peut prendre quelques mois seulement. Chez nous, ça passe par l’Europe puis ça redescend dans chaque pays pour la question du remboursement, où ça prend du temps. Participer à la recherche clinique permet donc d’avoir accès à l’innovation pour nos patients », détaille Christophe Le Tourneau. Si c’est là « l’enjeu essentiel », cela permet également aux équipes de recherche d’acquérir de la notoriété, des équipements ultramodernes ou encore des spécialistes reconnus.
« Grosso modo, Il y a les essais cliniques conduits par l’industrie pharmaceutique et ceux conduits par des médecins avec des idées. Plus la France est active en recherche clinique d’essais industriels, plus elle a la possibilité d’être force de propositions et d’idées qui viennent des médecins eux-mêmes », poursuit l’expert.
Qui plus est, « si vous ne manipulez jamais une drogue X au moment de son développement, soit toute la recherche translationnelle qui permet de comprendre pourquoi un médicament marche ou pas, vous ne pouvez pas le développer. Vous prenez alors du retard par rapport aux autres pays et perdez votre capacité à développer à la fois une recherche clinique et des soins et une recherche translationnelle de très haut niveau. Vous êtes alors déclassés dans la compétition internationale », renchérit Fabrice Barlesi.
Sans compter l’enjeu économique lié au coût des médicaments. « Quand vous incluez un patient dans un essai de médicament, ce dernier est payé par le promoteur et non par la Sécurité sociale. Plus on participe à des essais cliniques, plus ça permet de réduire la masse financière liée aux médicaments », résume Christophe Le Tourneau. Enfin, au-delà du financement des traitements, les essais cliniques attirent des investissements sur le territoire français qui permettent de générer des emplois souvent très qualifiés, rappelle le LEEM sur son site.
Quelques pistes pour redorer le blason de la France
Aujourd’hui, ce dernier travaille donc notamment à « favoriser le développement d’un écosystème favorable à la recherche et à l’innovation pour alimenter la recherche clinique de demain et renforcer les liens avec la recherche fondamentale et tisser des partenariats rénovés avec l’ensemble des parties prenantes, afin de mieux organiser le système de recherche clinique ».
Pour Christophe Le Tourneau, le plan Ségur présenté par le gouvernement à l’issue du confinement dû à la Covid-19 va également dans le bon sens pour redorer le blason de la France. « Il y a ce désir d’essayer de garder les talents à l’hôpital public où la recherche clinique est plus développée que dans le privé. Il faudra voir ça en application mais cette crise a permis une prise de conscience et on peut espérer que cela permette de faire bouger les lignes », explique-t-il, rappelant que la formation médicale française est « vraiment très bonne ». « A partir du moment où il y a une bonne formation et des bons médecins, il peut y avoir une recherche clinique de premier plan », assure-t-il.
Pour que la France devienne le leader européen de la recherche clinique d’ici à trois ans, comme l’avait annoncé le gouvernement en 2018, il faut donc investir dans les ressources humaines. « C’est indispensable pour des essais cliniques de qualité indiscutables, admis par la communauté internationale comme apportant une démonstration qui ne peut pas être challengée. Cela ne peut être fait qu’au prix d’une vraie volonté de structurer, de former et d’organiser stratégiquement les choses », insiste Fabrice Barlesi. Pour cela, il est donc également indispensable, on l’aura compris, d’alléger l’administratif.
« La crise de la Covid a montré c’était possible d’aller très vite en France avec des passages accélérés à l’ANSM et dans les CPP en même temps. On est capable de mobiliser des moyens sur une recherche particulière. Cela a conduit à la mise en avant d’une qualité de la recherche translationnelle et clinique importante. Aujourd’hui, il faut donc être capable de mobiliser l’ensemble des forces dans une seule direction au lieu de les éparpiller dans une multitude d’essais qui risquent de ne pas aboutir », conclut l’expert.
Sujet réalisé à partir du dossier du LEEM " 100 questions sur le médicament"
Retrouvez ci-dessous la fiche du LEEM sur le thème : "Quelle est la place de la France dans la recherche clinique ?"
https://www.leem.org/100-questions/quelle-est-la-place-de-la-france-dans-la-recherche-clinique