Les prochains Jeux olympiques, qui vont se tenir en août 2008 à Pékin, sont bien partis pour battre des records commerciaux. Mais il est peu probable qu'ils pulvérisent beaucoup de nouveaux records du monde sur le plan sportif. L'homme serait quasiment au bout de ses limites physiologiques, selon une étude conduite par le Pr Jean-François Toussaint, directeur de l'IRMES (Institut de recherche médicale et d'épidémiologie du sport), et publiée sur le site de la revue Plosone. D'après le modèle statistique mis au point par ces chercheurs, les records dans les disciplines olympiques ont désormais atteint 99% de leurs limites. D'ici 20 ans, la moitié d'entre eux ne pourra plus être améliorée de plus de 0,05%. Et dans moins d'une génération (60 ans), quasiment aucun record ne sera dépassable de façon naturelle; sauf à changer d'unité et mesurer les courses en millième de secondes, ou l'haltérophilie au gramme près. Pour parvenir à ces conclusions inédites, le Pr Jean-François Toussaint et son équipe ont analysé de façon exhaustive les quelques 3263 records du monde homologués depuis les premiers Jeux olympiques modernes de 1896, dans les cinq disciplines quantifiées : athlétisme, natation, cyclisme, patinage de vitesse et haltérophilie. Une marge de progression en natation Après une première phase d'amélioration rapide, entre 1896 et 1968, uniquement interrompue au moment des deux guerres mondiales, une importante régression des nouveaux records est observée depuis une quarantaine d'années. Et le déclin paraît inéluctable, malgré l'amélioration du matériel, du recrutement et surtout des conditions d'entraînement. Pour les chercheurs, cette évolution signifie clairement que ce sont bien les limites physiologiques humaines qui sont atteintes. En effet, constatent-ils, « ce modèle s'applique aussi bien pour des épreuves sportives qui font appel aux capacités aérobies (10 000 m en patinage de vitesse) qu'anaérobies (haltérophilie), mobilisant des groupes musculaires des membres inférieurs (cyclisme) ou supérieurs (lancer de poids), avec des efforts explosifs (saut en hauteur) ou de durée très longue (lancer de poids) ». En outre, cette tendance est observée chez les hommes comme chez les femmes, et pour les performances collectives établies lors des relais. Tous les sports n'en sont cependant pas au même point, précisent les auteurs, qui, pour chaque discipline, ont modélisé l'asymptote du record du monde et la période à laquelle elle devrait être établie. Ainsi, les 10''49 du record mondial du 100 mètres féminin, détenu depuis 1988 par Florence Griffith Joyner (très fortement suspecte de dopage) aurait d'ores et déjà peu de chance d'être battu. Il y aurait, en revanche, encore une bonne marge dans un certain nombre d' épreuves de natation, ou encore dans des disciplines comme le saut à la perche féminin. Le record actuel de 5,01m établi par la Russe Yelena Isinbayeva, devrait pouvoir être porté à 5,146 m aux alentours de 2045 (entre 2013 et 2128), prédit le modèle. Repenser les entraînements et les épreuves Les applications concrètes de ces travaux sont potentiellement nombreuses, explique le Pr Toussaint. D'abord, ils vont servir de base à des analyses plus fines qui iront jusqu'à étudier les facteurs individuels qui participent à la fabrication des champions. Ensuite, les valeurs limites des performances établies dans chaque discipline pourront servir de référence pour la lutte anti-dopage. Enfin et surtout, ces résultats devraient amener à repenser les conditions de la pratique sportive, tant pour les entraînements que pour les compétitions, estiment les chercheurs. « Les records du monde, c'est médiatique mais anecdotique, ça n'a plus de sens, confirme Franck Chevallier, directeur technique national de la Fédération française d'athlétisme. Sur le terrain, on se rend compte depuis longtemps que la marge se réduit d'année en année. Courir après les records c'est encourager le dopage. Il faut plutôt encourager la confrontation ». Selon lui, la quantité d'entraînement au quotidien (en temps et en intensité) a effectivement atteint ses limites. D'où d'ailleurs des blessures plus fréquentes chez les athlètes, plus complets mais plus fragiles. « Aujourd'hui, ce n'est plus le physique qui fait la différence, ils sont tous à peu près au même niveau, c'est le mental », précise encore Franck Chevallier. Et de conclure. «Si les scientifiques veulent nous aider, ce sera en étant à nos côtés, pour nous dire comment améliorer la régénération et la préparation mentale de nos sportifs».
Questions à... Pr Jean-François Toussaint, professeur de physiologie et directeur de l'Irmes (1) Etablir un portrait robot des recordmen
Cette publication était une première phase. Comment allez-vous continuer ce travail ? Pr Jean-François Toussaint . La prochaine étape est de descendre à l'échelle des disciplines pour comprendre s'il existe effectivement une marge de progression supplémentaire, comme cela semble être le cas en natation par rapport aux autres activités. Nous déclinerons aussi les analyses par épreuve : distances courtes versus distances longues ; sports explosifs versus sports d'endurance. Les différences entre hommes et femmes et l'évolution de ces différences seront également explorées. Petit à petit, nous voudrions aller jusqu'à l'échelon individuel. Il s'agira de définir le profil qui permet au sportif, et à quel âge, à quel moment dans la saison; d'atteindre l'optimum du potentiel physique correspondant au record du monde. L'Irmes est une jeune structure. Quelles sont ses missions ? Pr J-F.T. L'Institut a été crée il y a deux ans, en partenariat avec l'INSEP (Institut national du sport et de l'éducation physique), le Ministère de la Jeunesse et des Sports, l'INSERM, l'université Paris Descartes et l'Assistance publique hôpitaux de Paris. Ces partenaires ont souhaité développer les recherches épidémiologiques et biomédicales dans le sport de façon générale, avec un axe particulier sur les pratiques de haut niveau. L'étude que nous venons de publier est l'une des premières qui l'illustrent. Grâce à ces outils, et à l'exhaustivité du recueil des données, nous allons maintenant développer un grand nombre d'autres études. Une quinzaine sont en cours, et cinq registres ont été ouverts dès notre première année d'exercice en 2007. Ces données vont progressivement combler les connaissances, dans le domaine du sport de haut niveau mais également dans celui de la santé des sportifs et de la santé par le sport. Le bénéfice sanitaire que l'on peut tirer de l' activité physique et sportive est l'un des sujets majeurs en développement. Entretien avec S.C. (1) Institut de recherche médicale et d'épidémiologie du sport |