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Santé mentale

Ig-Nobel : savez-vous ce qu'est la misophonie ?

Par Amanda Breuer-Rivera

Les Ig-Nobel 2020, prix scientifique humoristique mais néanmoins sérieux, a désigné 10 équipes scientifiques lauréates. Le prix de la médecine revient à des Néerlandais pour leurs travaux sur la misophonie. De quoi s'agit-il ?

Deagreez/iStock
Les IG Nobel ont récompensé en médecine les études menées par des chercheurs de l'Université d'Amsterdam sur la misophonie.
Ce trouble neuropsychique est la réaction violente d'une personne lors d'un bruit anodin et quotidien comme celui de la mastication, d'une cuillère dans une tasse ou de ronflements.
Ce trouble est encore mal connu et peu soigné alors qu'il provoque des émotions négatives extrêmes.

C'est une récompense inattendue mais quand même acceptée avec plaisir. Ce 17 septembre, le 30e prix Ig-Nobel — Ig comme le début du mot ignoble en anglais — a récompensé 10 travaux scientifiques. Cette année, trois chercheurs belgo-néerlandais ont été récompensés pour leurs travaux sur la misophonie. Ce trouble neuropsychique est un état psychique négatif et violent provoqué par un bruit spécifique comme celui de la mastication. Ce trouble semble répandu : qui n'a jamais tressailli au son d'un reniflement, de craquement de cartilage, d'une cuillère dans une tasse, de talons sur un parquet ou de stylo actionné par un ressort ? Ce phénomène semble n'avoir jamais été pris au sérieux par la communauté scientifique avant les deux publications de ces trois chercheurs, de l'université d'Amsterdam (Pays-Bas), dans des revues scientifiques reconnues.

Nous sommes aussi un peu confus, car le prix Ig Nobel est en fait un peu une blague, reconnaît Damiaan Denys, professeur en psychiatrie à l'université d'Amsterdam, dans une vidéo enregistrée à cette occasion et traduite sur le média NL Times. Pourtant, nous l'avons accepté parce que nous pensons qu'il est important que cette pathologie retienne l'attention.” Dans cette même vidéo, il explique avoir commencé cette recherche il y a une dizaine d'années après avoir rencontré une patiente qui lui a dit qu'elle était furieuse quand elle entendait quelqu'un éternuer. “J'ai le rhume des foins et c'était au printemps, alors j'espérais que je n'éternuerais pas, parce que la veille, elle avait jeté la télévision à travers la pièce. Je ne savais pas quoi faire", se souvient le scientifique. Or, quelques années plus tard, une autre patiente lui a dit qu'elle avait envie d'étrangler son mari lorsqu'elle l'entend ronfler. Se souvenant de sa précédente patiente et de son aversion pour les éternuements, Damiaan Denys et son équipe ont décidé d'enquêter. “Après d'autres cas comme celui-ci, nous avons pensé avoir découvert quelque chose qui n'a pas encore été décrit en psychiatrie et finalement nous avons diagnostiqué la misophonie, affirme-t-il. Un nom existant que nous avons appliqué à de nouveaux critères.”

Début de reconnaissance de la misophonie

Leur première étude, publiée le 23 janvier 2013 dans la revue Plos One, propose une première étude de la misophonie. “Certains patients rapportent une préoccupation avec un son humain aversif spécifique qui déclenche une agression impulsive, écrivent les auteurs de l'étude. Cette condition est relativement inconnue et n'a jusqu'à présent jamais été décrite, bien que le phénomène ait été nommé de manière anecdotique misophonie.” Pour qualifier scientifiquement ce trouble, les chercheurs ont recruté puis interrogé 42 patients se signalant comme misophones, à qui ils ont fait passer des examens psychiatriques. “Les patients misophoniques partagent un schéma similaire de symptômes dans lequel un stimulus auditif ou visuel provoque une réaction physique aversive immédiate avec colère, dégoût et agressivité impulsive, observent-ils. L'intensité de ces émotions a provoqué des obsessions ultérieures avec le signal, l'évitement et le dysfonctionnement social avec une souffrance intense. Les symptômes ne peuvent pas être classés dans les systèmes nosologiques actuels. Nous suggérons que la misophonie soit classée comme un trouble psychiatrique distinct. Les critères diagnostiques pourraient aider à reconnaître officiellement les patients et le trouble, améliorer son identification par les soignants professionnels et encourager la recherche scientifique.”

Quelques années plus tard, cette même équipe publie une deuxième étude, le 1er août 2017 dans le Journal of affective disorder, sur une possible prise en charge de ces patients. Ils tentent de soigner 90 patients atteints de misophonie grâce à différentes techniques de thérapie cognitivo-comportementale. Après 8 séances de groupe toutes les 2 semaines, ils remarquent que 48% des personnes ont une réduction significative des symptômes, notamment chez ceux où les réactions étaient les plus fortes et matérialisées par le dégoût. Cependant, comme l'expérimentation s'est faite avec la pleine connaissance du patient, un effet placebo peut fausser ces résultats. Les chercheurs espèrent pouvoir mener d'autres recherches à ce sujet.