Face aux sénateurs, le désormais célèbre Didier Raoult a expliqué que le coronavirus avait subi “une mutation”, ajoutant qu'il avait “détecté sept mutants” et qu’il ignorait “ce que le virus allait devenir”. A la suite de ces déclarations anxiogènes, engendrant la crainte de l'émergence d'un nouveau virus invincible, Etienne Simon-Lorière, responsable à l'institut Pasteur de l'unité Génomique Evolutive des virus à ARN, éclaire sur les vrais enjeux des mutations du SARS-CoV-2.
La chauve-souris et le pangolin sont les deux animaux soupçonnés d'héberger des coronavirus proches du SARS-CoV-2. Que se passe-t-il quand un virus animal passe chez l’homme ?
Les virus mutent, c'est certain, mais nos connaissances en la matière sont limitées. Pour le SARS-CoV-2 ou Ebola par exemple, on ne sait pas combien de mutations ont été nécessaires à ces virus pour qu’ils soient aptes à se transmettre d’homme à homme.
Le SARS-CoV-2 mute-t-il plus vite que les autres virus déjà connus ?
Non, au contraire. Le SARS-CoV-2, comme les autres virus appartenant à la famille des virus ARN, mute plus lentement que la moyenne. On pense que c’est notamment dû au fait qu’il possède de très grands génomes.
Quelle est la logique de ces mutations ?
Comme les autres virus ARN, le SARS-CoV-2 mute pour survivre. Lorsqu’il entre dans une cellule, il se réplique le plus rapidement possible avant que le système immunitaire ne commence à s’activer. Des centaines et des centaines de copies peuvent être produites, car le SARS-CoV-2 a une capacité à absorber de petits changements dans le génome qui est assez grande, et d’ailleurs tout à fait fascinante.
Concrètement, quelles conséquences ont les mutations du SARS-CoV-2 ?
Théoriquement, tous les scénarios sont possibles. Mais en pratique, c’est très rare que la mutation d’un virus lui permette d’acquérir de nouvelles propriétés. Le seul exemple que l’on a recensé dans l’histoire de la médecine moderne, c’est le chikungunya. Dans les années 2000, ce virus tropical a muté pour pouvoir se déplacer grâce à de nouveaux moustiques. C’est probablement cette mutation qui a causé son émergence et la grosse épidémie qui a suivi dans l’océan Indien.
Concernant le VIH, un premier cas de transmission d'une souche multirésistante vient d’être découvert en France. Est-ce qu’on peut s’attendre à la même chose pour le SARS-CoV-2 ?
Non, car nous ne disposons actuellement pas de traitement global contre le SARS-CoV-2. Dans le cas du VIH, c’est un virus qui cause des infections chroniques pour lesquelles des traitements existent. Quand on parle “d'une souche multirésistante”, c’est une souche qui a muté pour résister aux médicaments.
Les appels se multiplient en faveur de la vaccination contre la grippe. Est-ce possible que le SARS-CoV-2 et la grippe mutent pour se combiner en un nouveau virus ?
C’est impossible, parce que ce sont des virus complètement différents dans la stratégie de leur cycle viral. La grippe, c’est un virus dont on dit que le génome est négatif, c’est-à-dire qu’il se lit de droite à gauche. A contrario, le coronavirus est un virus positif, lu de gauche à droite. De ce fait, les deux façons dont le génome est stocké dans la particule virale ne sont pas compatibles entre elles.
Est-ce que le SARS-CoV-2 peut devenir un virus saisonnier, et faudra-t-il dans ce cas refaire les vaccins chaque année ?
Aujourd’hui, tout est possible, on ne sait pas encore comment les choses vont tourner. Le SARS-CoV-2 peut devenir saisonnier, comme d’autres virus avant lui.
Concernant la vaccination, elle se fera en fonction de la qualité de l’immunité du futur vaccin contre le SARS-CoV-2. Les vaccins contre la rougeole et la fièvre jaune immunisent par exemple pendant des dizaines d’années. Mais si le vaccin contre le SARS-CoV-2 est moins efficace, alors il faudra re-vacciner les gens.
Les autorités pékinoises affirment que le SARS-CoV-2 n’est pas le même en Chine et en Europe, en expliquant que la forme européenne est plus nocive. Pensez-vous que cela soit exact ?
Non. Pour l’instant, les variations du SARS-CoV-2 en Europe, aux Etats-Unis et en Amérique du Sud sont suffisamment proches pour qu’on considère qu’il s’agit du même virus partout, avec les mêmes présentations cliniques.
La seule chose que l’on a pu constater, c’est une mutation apparue assez tôt dans l’épidémie, vraisemblablement en Chine, au niveau de la protéine “Spike”, qui donne lieu à une toute petite augmentation de la transmissibilité. Mais cela n’a pas d'influence sur la sévérité de la maladie, et ce n’est pas une source d’inquiétudes pour le moment.
Face aux sénateurs, Didier Raoult a expliqué que le coronavirus avait subi “une mutation”, ajoutant qu'il avait “détecté sept mutants” et qu’il ignorait “ce que le virus allait devenir”. Etes-vous d’accord avec ces affirmations ?
Qu’il ne sache pas, cela me paraît évident, car personne n’est devin. En revanche, le chiffre de sept mutants me paraît un peu étonnant. Nous estimons que les virus ARN mutent environ deux fois par mois, donc on pense que le SARS-CoV-2 a muté environ 18 fois depuis le début de l’épidémie de coronavirus. Ces mutations sont normales et attendues, et n’ont aucun effet (on parle d’ailleurs de mutations silencieuses). Elles permettent même de mieux suivre l’évolution du SARS-CoV-2, grâce aux petites différenciations locales qui existent désormais. Cela peut par exemple indiquer à quels pays il faut fermer les frontières, là où avant, le variant était le même partout.