Comment lutter efficacement contre les virus zoonoses, c'est-à-dire ayant franchi la barrière inter-espèce comme la Covid-19 ? Face à l'urgence de contrôler l'actuelle pandémie, une étude de l'Inserm publiée le 29 septembre dernier dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) lève le voile sur le cas de la Fièvre de la vallée du Rift (FVR) catégorisée comme “prioritaire” en 2015 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans l'étude de cas de l'apparition du virus à Mayotte et sa propagation entre 2018 et 2019, les scientifiques français apportent un éclairage sur une manière de gérer cette nouvelle zoonose.
La fièvre de la vallée du Rift (FVR) provoque des fausses couches et tue le jeune bétail — bovins, ovins, caprins — principalement en Afrique. Or, ces animaux amplifient la virulence du virus qui peut contaminer l'homme en contact avec les fluides de l'animal — lors de fausses couches ou d'abattage — ou en cas de piqûres de moustique entre l'animal et l'homme. Selon les chercheurs de l'Inserm, “si la plupart des patients développent des formes asymptomatiques ou bénignes, la maladie peut dans de rares cas (1 à 3 % des patients) évoluer vers des formes graves, caractérisées par des troubles oculaires et méningés ainsi que par une fièvre hémorragique menant parfois au décès.” Deux chercheuses de l'Inserm ont voulu étudier sa méthode de propagation à Mayotte entre 2018 et 2019. Selon ces scientifiques, ce virus aurait davantage contaminé les hommes grâce aux moustiques que par le contact direct avec les animaux, mais contrôler la santé animale permet de réduire les dangers pour l'ensemble de la population.
La santé des animaux, des humains et de l'environnement est liée
À la base de ce constat, l'étude détaillée de la dernière épidémie de FVR à Mayotte en 2018-2019. À cette époque, des flambées de FVR ont été signalées dans plusieurs pays d'Afrique de l'Est comme le Kenya, le Soudan du Sud, l'Ouganda ou le Rwanda. À Mayotte, 143 cas humains ont été signalés entre novembre 2018 et août 2019. Les services vétérinaires de Mayotte, les autorités régionales de santé (Agence de santé Océan Indien) et l'Agence de santé publique (Santé publique France) ont mené des enquêtes épidémiologiques complémentaires pour évaluer les schémas temporels d'infection dans la population animale et identifier les voies possibles de l'infection humaine. “Ces enquêtes ont généré un ensemble de données épidémiques de FVR particulièrement bien documenté, y compris des données sur la séroprévalence [estimation de la part de la population touchée par un virus, NDLR] et l'incidence de la FVR chez les animaux et les humains”, explique l'Inserm.
En croisant les données de surveillance de la santé animale et humaine, un logiciel mathématique a calculé le modèle de propagation du virus lors de cette épidémie. Pour les chercheuses, 55% des infections humaines sont dues aux piqûres de moustiques et 45% par le contact immédiat des animaux, même si le domaine agricole sur l'île représente 30% de la population. Fortes de ce constat, elles ont évalué l'influence potentielle d’une vaccination du bétail pour réduire l’ampleur de l’épidémie. Selon ces chercheuses, “vacciner 20% du bétail pourrait réduire le nombre de cas humains de 30%.” La campagne de vaccination la plus efficace est la préventive, puisqu'elles ont calculé que si la vaccination se fait un mois après le début de l'épidémie, il faudrait 50% de doses supplémentaires pour le même résultat, et 10 fois plus pour un résultat identique si la vaccination ne concernait que les humains.
Pour ces scientifiques de l'Inserm la lutte contre les maladies zoonoses inclut de prendre en considération la santé animale et environnementale à toutes les échelles. “L’urgence sanitaire associée à la pandémie de Covid-19 doit nous contraindre à repenser la manière dont nous envisageons les liens entre santé humaine, animale et environnementale, assure Raphaëlle Métras, chercheuse à l'Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique. Nos travaux mettent en lumière la valeur ajoutée d’une approche multidisciplinaire et intégrée quantitative One Health dans la lutte contre les zoonoses. Ils donnent aussi des pistes pour améliorer la surveillance et la recherche sur les maladies infectieuses émergentes.”