Qu'un assureur participe à l'accompagnement des personnes atteintes de maladies chroniques, l'idée est dans l'air. La France lorgne depuis quelque temps sur les expériences menées aux Etats-Unis et en Angleterre. En 2006, l'Inspection générale des affaires sociales soulignait, dans un rapport, l'intérêt de ce type d'accompagnement, appelé « disease management » aux Etats-Unis (1).
Cette fois, la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) a décidé de franchir le pas. Au mois de mars, elle expérimente un programme d'accompagnement des patients diabétiques pris en charge à 100% par la Sécurité sociale. Ce programme, pour lequel la CNAM a reçu en décembre le feu vert de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), s'intitule « Sophia ». Il concerne les patients et les médecins de dix caisses primaires (CPAM) pilotes (2). « Cette expérimentation impliquera 6000 médecins traitants, explique le Pr Hubert Allemand, médecin conseil et président du comité scientifique du projet. Quant aux patients diabétiques susceptibles d'y participer, nous évaluons leur nombre à environ 136 000, soit près de 6 % de l'effectif total en France ».
Les caisses primaires (CPAM) des dix sites pilotes contacteront d'abord en février les médecins traitants concernés pour leur expliquer les modalités. Une fois les médecins prévenus, les CPAM proposeront aux malades diabétiques de type I ou II en ALD (âgés de plus de 18 ans) d'adhérer au programme sur la base du volontariat (avec consentement exprès), sans que leur décision ne modifie le niveau de remboursement. Ensuite, l'accompagnement des patients participants sera différencié en fonction de leur état de santé et des complications potentielles.
Trois niveaux de répartition ont été prévus en fonction de la gravité du diabète, du nombre d'hospitalisation, et du nombre de dépenses.” Les caisses fourniront ainsi des supports d'information personnalisés. Lorsque le risque de complications est plus élevé, elles proposeront un accompagnement téléphonique par du personnel paramédical spécifiquement formé, à partir de septembre 2008 . En outre, les médecins traitants impliqués dans le programme Sophia toucheront 2C, soit 44 euros, à l'entrée d'un patient diabétique dans le dispositif, puis 1C par an.
« Les médecins ont intérêt à inciter leurs patients à intégrer ce programme, car nous savons bien qu'en matière de diabète, la réussite du traitement dépend essentiellement de l'engagement du patient, estime le Dr Combier, et membre du comité scientifique du projet "Sophia". De plus, il est préférable que ce soit l'Assurance maladie qui se lance dans ce type d'accompagnement et non pas des assureurs privés. Avec Sophia, les caisses, les médecins et les patients, nous allons tous ramer dans le même sens. »
L'association française des diabétiques (AFD) accueille avec enthousiasme le programme concocté par la CNAM. Mais, petit bémol, du côté du collectif de patients et d'usagers (CISS), on s'inquiète du mélange des genres entre « éducation thérapeutique » et simple « accompagnement » des diabétiques pour améliorer leur qualité de vie. L'éducation thérapeutique a récemment fait l'objet de recommandations élaborées par la Haute autorité de santé et l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. Mais le CISS constate cependant qu'il est insuffisant et réclame « un référentiel de deuxième génération », ainsi qu'« un cadre légal » pour mieux assurer à l'avenir l'éducation thérapeutique.
Un enjeu économique Pour Frédéric Van Roekeghem, le directeur de la CNAM, « il s'agit d'un enjeu de santé publique majeur. Notre objectif est d'améliorer l'état de santé des personnes diabétiques et de diminuer la fréquence des complications ». Ces complications entraînent déjà aujourd'hui 12 000 amputations du pied par an, ainsi que de nombreuses dialyses. Les diabétiques représentent 30 % des 7 000 nouveaux dialysés. Au-delà de l'enjeu de santé publique, cette opération comprend donc un objectif économique. Le régime général rembourse globalement chaque année près de 9 milliards d'euros de soins et de traitements aux 80 % de patients diabétiques admis au régime des affections longue durée (ALD), ce qui représente en moyenne 5 910 euros par malade et par an (en 2004). Or, compte tenu de la tendance à la prise de poids dans la population française, la CNAM estime que le nombre des patients diabétiques (âgés de 64,7 ans en moyenne et composés de 53 % d'hommes) pourrait passer de 2,5 millions aujourd'hui à 3 millions de personnes à l'horizon 2015. L'enjeu économique ne fait-il pas craindre un contrôle accru des médecins qui intègrent ce programme ? « Non, pas du tout, estime le Dr Combier. L'Assurance maladie a déjà toutes les informations en main pour effectuer des contrôles. Elle n'a pas besoin de ce programme pour cela. »
En conclusion, ce programme pourrait se déployer dans toute la France à l'horizon 2010, en fonction de l'évaluation qui en sera faite au bout de dix-huit mois. Et il pourrait être étendu aux maladies cardiovasculaires et à l'asthme. Mathias Germain (1) Le rapport IGAS sur le "disease management", septembre 2006. (2) Les départements pilotes sont : Seine-Saint-Denis (CPAM Bobigny), Sarthe (CPAM Le Mans), Loiret (CPAM Orléans), Puy-de Dôme (CPAM Clermont-Ferrand), Alpes-Maritimes (CPAM Nice), Ariège (CPAM Foix), Haute-Garonne (CPAM Toulouse), Hautes-Pyrénées (CPAM Tarbes), Gers (CPAM Auch), Tarn (CPAM Albi).
Questions au Dr Monique Olocco-Porterat, diabétologue, présidente de l'ANCRED (1) « Une prise de conscience de la part du patient » Avec le programme Sophia, fait-on de l'éducation thérapeutique ? Dr Monique Olocco-Porterat. Nous faisons partie du comité scientifique du programme depuis juin 2007, et nous avons compris qu'il s'agit d'un programme d'accompagnement des patients, d'un programme d'augmentation de l'observance, d'amélioration de la relation médecin patient, mais qu'il ne s'agissait absolument pas d'un programme d'éducation thérapeutique. Il n'y a pas de face à face entre soignants et patients diabétiques. Ce programme réalisera une classification des diabétiques avec l'aide des médecins et des patients, sur la base du volontariat, en fonction de la durée de leur diabète, de la présence de complications. Ces données permettront de réussir réaliser un annuaire, chose que nous n'avions pas jusqu'à ce jour en France et qui peut être très utile. Ensuite, ce programme permettra de faire un accompagnement de ces patients en fonction de leur état. Un accompagnement qui consistera à l'envoi de documents jusqu'à un suivi par une plateforme téléphonique.
« Sophia » vise à réduire les coûts Dr M.O-P. Il y a deux objectifs dans cet accompagnement. Un, permettre une meilleure prise de conscience de la part du patient de son état diabétique, et puis deux, aussi permettre une réduction des coûts ou du moins de garder des coûts identiques, mais avec une meilleure prise en charge, puisqu'on sait bien que l'épidémie de diabète représente 35 à 40% de dépenses des affections longue durée.
Ce programme change-t-il la donne entre le médecin et son malade ? Dr M.O-P. C'est l'arrivée d'un troisième intervenant dans la relation soignant malade. L'Assurance maladie va intervenir dans la prévention et dans les soins alors que, jusqu'à maintenant, elle ne le faisait pas. Reste à savoir si cette intervention est là pour nous aider. Est-ce qu'elle va permettre de motiver le patient pour qu'en fin de compte il suive mieux son traitement ? Est-ce que cela va permettre une meilleure coordination et une meilleure orientation vers les centres d'éducation thérapeutique ou vers les centres spécialisés en diabétologie ? La CNAM nous affirme que oui. Pour l'instant, nous attendons les résultats de l'évaluation qui sera faite dans deux ans. Entretien avec M.G. (1) Association nationale de coordination des réseaux diabète(1)
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