- Des chercheurs norvégiens se sont intéressés aux mécanismes du deuil après un attentat terroriste. Ils ont interrogé 129 parents et proches des victimes des attentats d'Oslo et d’Utøya en juillet 2011
- Pour la plupart d'entre eux, le travail de deuil a été extrêmement long et douloureux, et une frange minime n'a pas réussi à surmonter la perte de leur proche.
- On parle de deuil pathologique quand une personne n'arrive pas à surmonter un décès, au point de ne plus trouver de goût à la vie et de penser inconsciemment à rejoindre le défunt tant aimé.
Surmonter un deuil n’a jamais été une épreuve facile, et cela est encore plus insurmontable lorsqu’on a perdu un proche dans un attentat. La tristesse et le manque affectif suscité par cette mort soudaine et incompréhensible peuvent faire dériver l’entourage vers le deuil pathologique. C’est la conclusion à laquelle sont arrivés les chercheurs de l’université de Bergen (Norvège). Pour comprendre les mécanismes sous-jacents du deuil pathologique, ils se sont intéressés aux proches des victimes tuées par Anders Brieivik, lors des attentats terroristes d’Utøya et d’Oslo, le 22 juillet 2011. Les résultats de leur étude sont parus dans la revue Frontiers in Psychiatry le 14 octobre 2020.
Le 22 juillet 2011, Anders Behring Breivik, un ultranationaliste de 32 ans, commet un premier attentat à la bombe à Regjeringskvartalet, le quartier des ministères norvégiens. Huit personnes sont tuées et quinze autres sont blessées par l’explosion. Quelques heures plus tard, déguisé en policier, il ouvre le feu sur un camp de jeunes organisé par la Ligue des jeunes travailleurs du parti travailliste norvégien, sur l’île d’Utøya. Dans son escapade meurtrière, il abattra 69 personnes, principalement des adolescents, et en blessera 33 autres par balles. Cet attentat reste à ce jour le plus meurtrier en Norvège depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
“L’attaque terroriste de 2011 a été une énorme tragédie nationale qui nous a tous profondément affectés, déclare Pål Kristensen, docteur au Centre de psychologie de crise de l'université de Bergen. Nous devions néanmoins nous renseigner sur les effets à long terme sur la santé mentale et sur la manière dont nous pouvions aider ceux qui ont été le plus touchés - les personnes en deuil.”
La résilience, la guérison ou la déprime chronique
Avec son équipe, le docteur Kristensen est entré en contact avec les parents et les proches des victimes, afin de mieux comprendre comment se déroulait ce processus de deuil si particulier. Ils les ont questionnés sur leur ressenti face à cet évènement 18 mois, 28 mois et 40 mois après l’attaque. Ils se sont aperçus que le mécanisme du deuil pouvait prendre trois trajectoires:
- La première survient chez les personnes qui expriment un deuil à un niveau “modéré” un an et demi (18 mois) après la mort, qui diminue après un peu plus de deux ans (28 mois) et qui se stabilise après quasiment trois ans et demi (40 mois).
- La seconde trajectoire comprend les personnes qui ressentaient un niveau de deuil “élevé” à 18 mois mais qui s’est lentement estompé à 28 et 40 mois.
- La dernière catégorie a connu un niveau de deuil “élevé” à 18 mois qui est resté constant même au-delà des 40 mois, devenant ainsi un deuil chronique.
C’est à partir de là que l’on parle de deuil pathologique, lorsque les personnes sont tellement affectées par la perte d’un être cher qu’elles focalisent toute leur attention dessus, délaissant tout le reste. Agissant comme un trouble de stress post-traumatique, les personnes souffrant de deuil pathologique ressassent en permanence sur la mort et aspirent inconsciemment à vouloir rejoindre le défunt. Enfermées dans cette spirale, elles ne ressentent plus de joie ou de plaisir à vivre, venant même jusqu’à questionner leur place dans ce monde.
Sur les 129 participants de l’étude, près de 80% d’entre eux ont eu un niveau de deuil “élevé”. Le temps a néanmoins permis à 64% des participants de faire le travail de guérison après le deuil, quand 13% des parents et des proches n’ont pas réussi à s’en remettre. Selon les chercheurs, c’est notamment le combat permanent contre les idées noires qui les ronge qui serait à l’origine du temps anormalement long mis pour faire ce deuil.
D’autres études sur le deuil ont néanmoins démontré qu’après un deuil, certaines personnes trouvaient en elle l’énergie nécessaire pour faire preuve de résilience, c’est-à-dire d’accepter ce qui s’est passé pour rebondir. Toutefois, aucun cas de la sorte n’a été observé par Pål Kristensen et ses collègues, ce qui suggère que les attaques terroristes d’Oslo et d’Utøya ont tant choqué les proches, qu’ils leur aient impossibles de cheminer vers une rédemption.
Un accompagnement psychologique et social plus soutenu des personnes endeuillées
“Nous devons tendre la main à ceux qui sont terrorisés pour leur offrir de l'aide, à la fois au début de l'attaque, mais surtout au fil du temps, lorsque le soutien social est réduit”, estime Pål Kristensen. Si les conclusions soulevées par cette étude sont intéressantes, une inconnue subsiste pour les autres personnes. Pour son expérience, Pål Kristensen et son équipe ont contacté les 208 familles touchées par ce drame, et près de 60% d’entre elles ont accepté de participer à l’expérience. Qu'en est-il pour les autres? Il est impossible de savoir si elles n’ont pas voulu participer à cause de la trop grande douleur qu’allait engendrer le souvenir de ces évènements douloureux, ou si c’est une autre raison qui les a poussées à décliner l’aide des chercheurs.
Quoi qu’il en soit, l’équipe dirigée par Pål Kristensen réfléchit déjà à de nouvelles études sur les mécanismes du deuil afin de mieux venir en aide aux personnes endeuillées.