Avoir un bébé prématuré est déjà difficile, mais accoucher d’un bébé prématuré en temps de Covid-19 relève de l’épreuve de force. A 36 ans, Elodie est traumatisée. "J’ai vécu l’enfer", raconte cette fonctionnaire. "J’ai pleuré chaque jour de l’hospitalisation, j’ai perdu 10 kilos, et j’y repense tout le temps".
"Je n’avais plus de dentifrice, plus de gel douche, plus de linge propre"
Le 2 mars dernier, elle accouche par césarienne d’un petit garçon de 32 semaines, juste avant le premier confinement. Elle passera ensuite deux mois dans sa chambre d’hôpital avec son bébé, sans pouvoir voir son conjoint et son premier enfant, âgé à l’époque d’un peu plus de deux ans. Elle n’aura pas le droit de circuler dans les couloirs de l’hôpital. "On ne nous a laissé aucun temps d’adaptation. Je n’avais plus de dentifrice, plus de gel douche, plus de linge propre", raconte la jeune mère de famille, dont même l’accès aux repas a été chaotique. "Le plus dur, ça a été de gérer toute seule la prématurité de mon bébé, qui n’allait pas bien. Mon conjoint était considéré comme un simple visiteur, et n’a assisté à aucun des rendez-vous médicaux. Les pères n’avaient des droits de visites que pour les bébés en fin de vie. J’ai présenté son petit frère à mon aîné au bout de deux mois, sur le parking des urgences". Alors que son hôpital crée une unité covid-19, les soins pour sa césarienne sont reportés à plus tard, tout comme les soins de kinésithérapie et orthophoniques de son petit garçon.
La crise sanitaire a amené l’association SOS Préma à dénoncer les restrictions d’accès de parents dans les services de néonatalogie, car "ces mesures vont à l’encontre de l’intérêt de l’enfant et de sa famille". La SFN (Société Française de Néonatalogie) et le gouvernement se sont prononcés en faveur d’une présence parentale sans conditions, "mais certains services sont restés sourds face à ces recommandations", déplore l’association.
"Je me retrouve à ne pouvoir voir mon bébé que 4 heures par jour"
"Depuis le 30 septembre, vous avez pris la décision d'appliquer dans votre hôpital des mesures de restrictions. Je me retrouve maman à devenir visiteur. Je me retrouve à devoir demander l'autorisation de voir mon enfant. Je me retrouve à devoir établir un planning à l'avance avec les parents du bébé qui partagent le même box que le nôtre. Je me retrouve à ne pouvoir voir mon bébé que 4 heures par jour. Je me retrouve à regarder l'heure quand je suis à ses côtés car je sais que je dois laisser la place aux autres parents. Je me retrouve à venir seule à l'hôpital sans mon conjoint car vous avez interdit la présence des deux parents", raconte Mme B.S dans une lettre adressée au directeur de l’hôpital où est pris en charge son enfant, né très grand prématuré.
Allaitement, peau-à-peau… S’appuyant sur de nombreuses études scientifiques, la Société française de néonatalogie préconise la présence continue des deux parents auprès des bébés prématurés, afin de favoriser leur développement, un meilleur lien parent-enfant et réduction du temps d'hospitalisation.
Dans une tribune au Parisien-Aujourd’hui en France, Charlotte Bouvard, fondatrice et directrice SOS Préma, et Audrey Reynaud, responsable des affaires scientifiques, dénonçaient déjà la séparation des parents et des bébés durant la pandémie le douze avril dernier. "Les prématurés, au fond de leur couveuse, semblent être les victimes faciles de nos peurs primaires : les parents sont des vecteurs de contamination. Depuis, les néonatalogies ont, les unes après les autres, instauré des restrictions d'accès aux parents. Ils ne peuvent plus venir à deux, seulement quelques heures par jour et, parfois même, plus du tout", écrivaient alors les deux femmes.
Quels taux de prématurité en France ?
En France, chaque année, 700 000 femmes mettent au monde un enfant. Le taux de prématurité global (naissance avant la 37e semaine d’aménorrhée) est de 7% et le taux de prématurité sévère (naissance avant la 33e semaine d’aménorrhée) est de 1,4%. Après une naissance à 26 semaines d’aménorrhée, 75% des nouveau-nés vont vivre, dont 80% n’auront pas de séquelles. Suite à une naissance à 28 semaines d’aménorrhée, les chances de vivre du bébé passent à 85% et l’espoir d’une absence de séquelles à 90%.