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Interview

Covid-19 et thrombose : le piège de l’effet «spiderman» des neutrophiles

Par Thierry Borsa

La libération d'ADN par ces globules blancs piège les agents pathogènes mais est aussi à l'origine de la formation de caillots. Un mécanisme démontré par les travaux d'une jeune chercheuse française, Karen Aymonnier, qui vient de se voir décerner le prix 2020 pour les jeunes chercheurs décerné par la Fondation Bettencourt-Schueller.

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- Pourquoi Docteur : Qu’est-ce qui vous a amené à faire ce travail sur l’action des neutrophiles ?

Karen Aymonnier : J’ai travaillé très tôt sur les mécanismes d’inflammation et pathologies inflammatoires. En parallèle de ma thèse sur les mécanismes de l’hémophilie, j’ai eu l’occasion de travailler sur ces neutrophiles, des globules blancs majoritairement présents dans le sang -ils représentent 60 à 80% des globules blancs circulant dans le sang- et sont liés  au mécanisme de thrombose, en effet l’activation de neutrophiles participe à la formation de caillot sanguin. Il y a vraiment une interconnexion très forte entre inflammation et coagulation.

- Comment réaction inflammatoire peut déclencher thrombose ?

K.A. : Ces neutrophiles, dès qu’il y a une infection, c’est-à-dire une invasion par un agent pathogène extérieur, sont les premiers à intervenir sur le site de l’infection. C’est un peu comme des policiers dans le sang : dès qu’il y a quelque chose de pas très bon qui arrive dans le corps, tout de suite ils vont se rendre sur le lieu de l’infection ou l’inflammation puis s’activer en sécrétant des cytokines et des protéases, pour empêcher les agents pathogènes de se propager dans le corps. Et un de leurs mécanismes pour lutter contre ces agents pathogènes est de libérer sur le site de l’infection leur ADN, et ces longs brins d’ADN vont former comme un piège pour les bactéries ou pour les particules virales. Ils vont piéger ces éléments pathogènes comme « spiderman » piège ses ennemis dans une toile d’araignée ! C’est un phénomène qui a été découvert il y a 15 ans et dont on sait aujourd’hui qu’il est impliqué dans beaucoup de pathologies, notamment des pathologies auto-immunes comme le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde. Et plus récemment on a vu que ces « NET » (Neutrophil Extracellulr Trap : pièges extra-cellulaires des neutrophiles), ces toiles d’araignée, peuvent servir de base au recrutement de plaquettes sanguines et donc être à l’origine de la formation de caillots sanguins.

- C’est ce phénomène que l’on observe chez certains patients atteints de formes graves de la Covid-19 ?

K.A. : Effectivement, on en parle beaucoup dans le Covid avec des patients qui arrivent en réanimation avec d’important problèmes pulmonaires, qui présentent un syndrome de détresse respiratoire aigüe et sont prédisposés à des thromboses artérielles et veineuses. On a pu observer chez ses patients énormément de NET présents dans le mucus de leurs poumons et on a retrouvé chez des patients Covid une augmentation des NET présents dans le plasma sanguin ce qui pourrait aggraver encore le risque de thromboses.

- Est-ce que cela permet d’envisager de nouvelles pistes de traitement des phénomènes de thrombose dans les infections ?

K.A. : Oui, c’est vraiment un « hot topic » (sujet important, NDLR) en science. Parce que les neutrophiles, c’est à double versant. Il y a un versant positif et un versant négatif et il faudrait parvenir à les réguler. Les neutrophiles sont nécessaires pour contrôler une infection et éliminer les agents pathogènes mais ils favorisent une inflammation encore plus importante avec un développement des risques de maladie thrombotique. Il faut donc trouver le moyen, et plusieurs études le recherchent, de limiter la formation de ces NET.

 J’ai un exemple très concret, dans mon équipe de recherche au laboratoire, nous avons lancé un essai clinique avec le Boston Children’s Hospital et le Brigham and Women’s Hospital sur les personnes qui développent une forme sévère de Covid-19. Il y a de nombreux patients qui arrivent en réanimation et qui sont mis sous respirateur pour les aider à mieux respirer. Pour essayer d’évacuer le mucus qui s’entasse dans leurs poumons et qui limite l’oxygénation du sang, on va leur administrer de la DNAse, une enzyme qui coupe les brins d’ADN dans le mucus. Cette DNAse est déjà administrée aux patients atteints de mucoviscidose qui ont beaucoup de mucus qui leur encombre les poumons et on a vu d’ailleurs qu’il y avait énormément de NETS dans les sécrétions bronchiques de ces patients.

Un de nos post-doc qui était ici est retourné en France au début de l’épidémie pour lancer le même essai clinique.

- Quelles sont les autres applications possibles de votre travail ?

K.A. : Mon travail consiste à analyser les mécanismes cellulaires qui amènent le neutrophile à libérer son ADN, à former des NET et comment les plaquettes adhèrent à ces NET. On a vu dans plusieurs études que les NET sont très impliqués à toutes les infections respiratoires. Mais cela peut se produire aussi dans des infections touchant d’autres organes : c’est un phénomène que l’on rencontre dans beaucoup de pathologies, la polyarthrite rhumatoïde, le diabète et les maladies cardiovasculaires. Donc il y a une application qui est plus vaste que les maladies inflammatoires pulmonaires.