Pourquoi docteur - A quoi correspond sur le marché le terme de "cigarette électronique" ?
Pr Daniel Thomas - La cigarette électronique évolue en permanence. La troisième génération de ces produits vise à délivrer la nicotine de façon plus efficace dans le corps et le cerveau, avec un mécanisme qui ressemble de plus en plus à l’absorption de nicotine par un fumeur classique. C’est par exemple le fonctionnement de la marque JUUL, une cigarette électronique d’un format extrêmement réduit, promue auprès des jeunes, qui peuvent ainsi tomber dans une vraie dépendance à la nicotine. C’est moins grave qu’une dépendance au tabac, mais ce n’est pas sans conséquence sur la santé.
J’en profite pour préciser que le tabac chauffé, un nouveau produit vendu par exemple par Philip Morris via sa marque IQOS, n’a absolument rien à voir avec la cigarette électronique, contrairement à ce que l’industrie du tabac veut faire croire.
- Quel est l’impact de la cigarette électronique sur la santé ?
Tout d’abord, il faut savoir que c’est un produit sur lequel on a peu de recul, car il n’est sur le marché que depuis une dizaine d’années, et de nouveaux types de cigarettes électroniques sortent régulièrement (pour le tabac, on a mis plus de cinquante ans à démontrer son effet délétère sur la santé). On ne dispose pas de beaucoup de données sur ces produits à moyen terme, et pas du tout à long terme.
Concernant les effets des cigarettes électroniques sur la santé, on ne voit pour l’instant pas de manifestations sur le plan clinique, c’est-à-dire sur le plan de l’expression d’un infarctus ou d’un cancer par exemple. Elles sont impossibles à démontrer pour le moment, compte tenu de l’exposition limitée dans le temps des vapoteurs.
Ce dont on dispose actuellement, ce sont beaucoup d’études qui s’intéressent aux effets biologiques de la cigarette électronique, c’est-à-dire à ses effets intermédiaires. Le vapotage a ainsi des effets avérés sur les vaisseaux et l’inflammation, ainsi qu’une toxicité sur les cellules. Pour un non-fumeur, la vape est donc assurément toxique.
Mais pour des fumeurs, exposés à des milliers de produits toxiques au quotidien, passer à la cigarette électronique diminue les risques pour leur santé. Dans la vape, il n’y a notamment pas de combustion, donc pas de monoxyde de carbone.
- La cigarette électronique rend-elle dépendant ?
Cela dépend des produits, et de leur manière de délivrer la nicotine dans l’organisme. S'ils le font pratiquement aussi efficacement que la cigarette classique, le vapoteur risque d’être accroché à la vape comme il peut être accroché à la cigarette.
Une étude menée en non aveugle a récemment démontré qu’il y a deux fois plus de fumeurs qui ont arrêté avec la vape qu’avec des substituts nicotiniques. Cependant, une fois sortis du tabac, seuls 13% des utilisateurs de produits de substitutions pharmaceutiques en consommaient toujours, alors que 80% des vapoteurs utilisaient toujours les cigarettes électroniques. Ici, on voit que la dépendance s’est déplacée du tabac fumé à la vape, notamment parce que les fumeurs retrouvent dans la vape le pic de nicotine qu’ils apprécient lorsqu’ils fument une cigarette.
- Vaut-il mieux éviter de commencer la cigarette électronique ?
Si on est non fumeur, il faut absolument éviter de commencer la cigarette électronique, et ce à tout âge, car c’est un produit dont on ne connaît pas les effets sur la santé à long terme. Non seulement on n’a pas assez de recul sur la toxicité des cigarettes électroniques, mais les observations biologiques décrites plus haut indiquent un impact négatif sur la santé.
- Y a-t-il un risque de basculer de la cigarette électronique au tabac, notamment chez les jeunes ?
Les données sont très contradictoires sur le sujet, on manque de recherches longitudinales. Néanmoins, des études laissent à penser que oui, notamment parce que lorsqu’on est devenu dépendant à la nicotine, consommer des cigarettes électroniques est plus compliqué que d’aller s’acheter son paquet au tabac du coin.
Aux Etats-Unis, il y a eu une telle progression de la vape chez les jeunes qu’il y a maintenant une nouvelle génération de vapoteurs dépendants à la nicotine, alors qu’ils n’ont jamais fumé de tabac. Chez eux, c’est un vrai problème de santé publique. En France, c’est un phénomène plutôt marginal, mais qui existe.
- Est-ce une bonne idée d’utiliser la cigarette électronique pour arrêter de fumer ?
Oui, mais à certaines conditions. On peut résumer mes recommandations comme suit :
- Si on est non-fumeur, il ne faut absolument pas commencer à vapoter.
- Si on est fumeur, la cigarette électronique est une option possible pour sortir du tabac, à condition d’avoir pour objectif par la suite d’arrêter aussi totalement de vapoter. Car rester exclusivement vapoteur n’est pas une garantie de bonne santé à long terme, puisqu’on ne sait pas encore ce que cela donne.
Je précise que rester sur des consommations mixtes, qui alternent cigarettes électroniques et cigarettes classiques, n’est pas une bonne option. En effet, les études démontrent que, même consommé occasionnellement ou en petite quantité quotidienne, l’impact du tabac est nocif pour la santé. Il n’y a pas de petit tabagisme, c’est d’ailleurs pour cette raison que l’on a interdit de fumer dans les lieux publics clos, afin de faire barrage au tabagisme passif.
- Pour arrêter de fumer, la cigarette électronique est-elle plus efficace que les thérapies cognitives et comportementales (TCC) ou les patchs ?
Ce n’est pas blanc ou noir. Il ne faut ni diaboliser la cigarette électronique, ni l’idéaliser. En France, la HAS ne recommande pas la cigarette électronique en première intention pour le sevrage tabagique, car on manque de recul sur la toxicité du produit. Néanmoins, si les produits recommandés en première intention et remboursés - comme par exemple les patchs ou les comprimés (champix, zivan) - ne fonctionnent pas, il faut envisager la cigarette électronique. Même si ce produit peut engendrer une nouvelle dépendance, c’est un moyen efficace pour sortir du tabac, qui reste beaucoup bien moins dangereux pour la santé que les cigarettes manufacturées. Pour ce qui est des thérapies, ça peut aussi être efficace, mais c’est un soin plus complexe à mettre en place.
En résumé, si une personne souhaite arrêter de fumer, je ne vais pas lui proposer la cigarette électronique en premier. Mais si c’est finalement le moyen de sevrage tabagique qui lui convient le mieux et qu’elle l’accepte davantage que la substitution nicotinique pharmaceutique, et bien je vais l’encourager.
- Voulez-vous ajouter quelque chose en conclusion ?
Le monde médical s’intéresse encore trop peu au problème du tabac dans la population, beaucoup moins par exemple qu’au cholestérol, à l’hypertension artérielle ou au diabète. Il ne suffit pas de dire à ses patients qu’il faut arrêter de fumer, il faut aussi les aider, car le tabac est une drogue dure. Il y a un défaut terrible au niveau des prescriptions pour les fumeurs, qui se sentent coupables de fumer, alors qu’ils ne sont que des victimes.