Devenir invulnérable à la Covid-19 tout en possédant un système immunitaire fragile, c’est tout le casse-tête des personnes immunodéprimées. Alors que le premier ministre a dévoilé la semaine dernière la feuille de route de la campagne de vaccination contre la Covid-19 qui débutera en France au début du mois de janvier, il est intéressant de se pencher sur une catégorie de personnes considérées comme “vulnérables”.
Un regroupement hétérogène de personnes au système immunitaire fragile
Les personnes immunodéprimées ne forment pas un groupe homogène, puisque leurs pathologies sont variées, allant d’une personne qui prend des corticoïdes à une celle qui a reçu une greffe de cellules-souches. Leurs réponses immunitaires sont donc elles aussi spécifiques. Si au départ, un doute peut subsister quant aux effets d'un vaccin en lien avec la faiblesse de leur système immunitaire ce ne semble pas être suffisant pour en déconseiller la prescription. Même sans un système immunitaire performant, la vaccination contre la Covid-19 présente pour elles plus d’avantages que de risques.
“Je ne parlerai pas du risque en premier, puisque la question est surtout axée autour du bénéfice, tranche Benjamin Wyplosz, infectiologue au service des maladies infectieuses à l’hôpital Bicêtre. Le risque, c’est que si ces personnes contractent le coronavirus, elles meurent, et il n’y a pas de bénéfice à attraper le coronavirus. En revanche, bien qu’on ne possède pas pour l’instant de données sur les risques de vaccins Covid-19 pour les personnes immunodéprimées, l’unique risque serait l’inefficacité du produit. A ce jour, pour les autres vaccins, rien ne démontre qu’ils entraînent plus de complications pour les personnes immunodéprimées.”
Certains vaccins, comme celui de la varicelle, ne sont pas recommandés pour les personnes immunodéprimées ou particulièrement vulnérables, comme les femmes enceintes, car le risque de mettre leur santé en péril serait trop important. Pour autant, comme le souligne Benjamin Wyplosz, tous les vaccins n’ont pas le même fonctionnement. “Il faut bien faire la distinction: il existe des vaccins ‘vivants’, et ceux-là sont contre-indiqués chez les immunodéprimés. Les seuls vaccins que l’on fait chez les personnes immunodéprimées ne sont pas ‘vivants’, on parle de vaccins ‘inertes’. Ils sont soit composés d’agents infectieux détruits avec une incapacité de se reproduire, soit avec des morceaux d’agents infectieux, que l’on appelle vaccin sous-unitaire. Ces deux-là peuvent être faits aux personnes immunodéprimées sans risque en terme de vaccination, en revanche il y a un risque en terme d’efficacité si les personnes sont trop immunodéprimées.”
La vaccination en anneau pour protéger les plus fragiles
En ce qui concerne les deux principaux vaccins disponibles, à savoir celui développé par l’alliance américano-germanique des laboratoires Pfizer et BioNTech d’un côté et celui du groupe pharmaceutique américain Moderna de l’autre, ils utilisent tous les deux de l’ARN messager, une copie temporaire d’une section de notre ADN, le code génétique de toutes nos cellules. Un brin d’ARN messager contient toutes les instructions d’assemblage pour permettre à une cellule de créer une protéine protégeant les cellules du corps de l'infection. Dans le cas de ces deux vaccins, l’ARN messager qui sera injecté dans le corps aura pour mission d’indiquer aux cellules quelles sont les protéines qu’elles doivent synthétiser pour se défendre du coronavirus.
Avec cette technologie, il n’y a aucun risque d’altérer la santé des personnes, immunodéprimées ou non. “Les vaccins à ARN messager [de Pfizer et Moderna, NDLR] ne sont pas capables d’entraîner une maladie puisqu’il n’y a pas d’agents infectieux complets à l’intérieur, soutient Benjamin Wyplosz. On est sur un vaccin inerte, on ne prend pas beaucoup de risques car on ne peut pas entraîner de maladie, c’est la raison pour laquelle ils ne devraient pas être contre-indiqué pour des gens avec un système immunitaire imparfait.”
Pour autant, même si certains vaccins contre la Covid-19 développés actuellement, comme Spoutnik V, celui développé par la Russie et l’Institut Gamaleya, utilisent des adénovirus transformés qui incorporent une partie du matériel génétique du coronavirus, cela n’est pas suffisant pour provoquer des complications de santé. D’une part parce que le matériel génétique utilisé est en trop petite quantité pour être dangereuse, et aussi parce que les morceaux de Covid-19 présents ne peuvent pas se reproduire puisque la protéine chargée de la reproduction a été supprimée. “Les vaccins à vecteurs viraux — qui consistent à prendre un virus bénin dans lequel on introduit le patrimoine génétique du coronavirus — ne sont pas capables de se multiplier chez l’être humain. Le vaccin d’AstraZeneca est un vaccin à vecteur viral qui est basé sur un adénovirus de chimpanzé qui n’est pas répliquant, donc on ne devrait pas avoir de problèmes chez les immunodéprimés avec ce vaccin.”
Si comme nous l’avons vu, tous les vaccins contre la Covid-19 présents actuellement sur le marché ne semblent pas comporter de risque, ce n’est pas pour autant que toutes les personnes immunodéprimées pourront être vaccinées. Il faut toujours garder à l’esprit que chaque malade immunodéprimé doit recevoir une protection adaptée à sa situation, en fonction de la faiblesse de son système immunitaire. L’ultime recours, outre l’immunité de groupe qui mettrait trop de temps à se mettre en place, réside dans l’entourage proche du malade, seul “habilité” à lui transmettre une infection. Pour éliminer tous les risques, c’est sur eux que doit s’appuyer la stratégie vaccinale.
“La stratégie que l’on recommande systématiquement autour des immunodéprimés, c’est une vaccination en anneau, c’est-à-dire que tous les gens qui sont autour — famille, proches, amis — sont immunisés et ne devraient pas transmettre la maladie à la personne immunodéprimée. C’est déjà ce qui est fait avec la grippe et les vaccins qui ne peuvent pas être administrés aux immunodéprimés, comme la rougeole par exemple. C’est sûrement la même stratégie qui sera employée avec la Covid-19, surtout si les vaccins évitent la transmission du coronavirus”, conclut l’infectiologue.