Rien n’est acquis, rien n’est gravé dans le marbre. Depuis la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en 1975 par la loi Veil, les conditions d’accès pour les femmes à l’avortement continuent d'être discutées. Le 2 octobre 2020, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a été saisi par la ministre de la Santé, Olivier Veran, sur la question de l’allongement du délai légal d’avortement de 12 à 14 semaines de grossesse (soit de 14 à 16 semaines d’aménorrhée). Dans sa réponse du 11 décembre, le CCNE a décidé de ne pas s’opposer à cette prolongation qui a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 8 octobre 2020.
Des disparités à travers le monde
Si chez nous, le recours à l’interruption volontaire de grossesse reste en débat sur le point de la durée admise pour pratiquer l’intervention, toutes les femmes dans le monde ne bénéficient pas de cette option. Aujourd'hui, c’est vers Argentine que se tournent tous les regards. Dans ce pays d’Amérique du Sud, l’avortement n’est toujours pas autorisé. Si le 11 décembre, les députés ont approuvé en première lecture la légalisation de l’IVG, le chemin est encore long avant que le projet de loi ne soit définitivement adopté. En 2018 déjà, une proposition similaire avait été adoptée par les députés avant d’être rejetée par les sénateurs.
Dans un récent sondage commandé par le cabinet argentin Poliarquía Consultores, près d’un sondé sur deux (48%) souhaitait que l’interruption volontaire de grossesse ne soit utilisée que dans certaines circonstances. De même, 48% des répondants étaient contre la dépénalisation de l’avortement en Argentine, et 41% jugeaient utiles de rendre l’IVG légal.
Plus près de nous, c’est la situation inverse qui se produit en Pologne. D’abord complètement gratuit et autorisé durant la période communiste, l’interruption volontaire de grossesse régresse lentement. Les règles ont été durcies et l’IVG n’est maintenant possible que pour des conditions bien précises (viol, inceste, risque vital pour la mère, malformation grave du foetus). Depuis le 22 octobre 2020, les Polonaises se battent contre le tribunal constitutionnel, qui considère que la malformation du foetus n'est pas un motif pour avorter, alors que ce choix est utilisé dans 98% des cas. En interdisant la solution la plus populaire, cela revient à pénaliser l’avortement, ce qui entrainera mécaniquement des avortements clandestins qui représentent, ironiquement, un risque vital pour la mère.
L’avortement n’est pas seulement le reflet des tiraillements d’une société sur la naissance, mais également une arme politique pour plaire aux plus conservateurs. En Hongrie, le président Victor Orban s’est inspiré de son voisin polonais pour promouvoir la famille et restreindre l’accès à l’avortement. Dans le pays, la Constitution stipule que le foetus doit être protégé dès sa conception, rendant difficile les circonstances pouvant aboutir à une IVG. Cela produit indirectement donc un “tourisme de l’IVG” pour les Hongroises qui cherchent à avorter, en allant le faire dans un autre pays où la législation est plus souple.
Les détournements de la loi en Asie
En matière d’avortement, le continent asiatique constitue un exemple particulier. Bien que la très grande majorité des pays autorise l’avortement, il est ici dévoyé à des fins utilitaristes. Dans ces sociétés, les garçons sont valorisés car ils “portent” l’honneur de la famille, sont capables de transmettre le nom (et donc d’assurer la descendance de la lignée) et sont utiles pour les travaux physiques, ce qui en fait des forces de travail dans les campagnes. A l’inverse, les filles sont souvent laissées pour compte, car elles coûtent de l’argent (pour la nourriture et leur éducation), perdent leur nom de famille et sont considérées comme moins utiles dans les travaux agraires.
Cette politique, exacerbée par la politique de l’enfant unique entre 1979 et 2015, conduira en Chine à des recours massifs à l’avortement, aussi bien voulu que forcé (mais également à des infanticides) pour éliminer les futures filles à naître. De même, en Inde, les avortements sont plus fréquents lorsqu’il s’agit d’une fille que d’un garçon. Dans les deux pays les plus peuplés d’Asie, ces avortements utilisés à outrance contre les filles depuis la fin du XXe siècle ont créé une asymétrie dans la population. C’est la raison pour laquelle le continent asiatique est le seul à être majoritairement masculin, avec des millions d’hommes célibataires, faute de pouvoir trouver une épouse.
Enfin, n’oublions pas que dans certains pays, l’avortement reste totalement illégal, même dans les cas de viols, de malformations ou de risques vitaux pour la santé de la mère. C’est notamment le cas du Salvador, où l’avortement est considéré comme un homicide aggravé, qui fait encourir une lourde peine de prison, aussi bien à la mère qu’au praticien qui l’a aidé. Cette politique va tellement loin que les fausses couches sont elles-mêmes considérées comme des homicides. D’ailleurs, dans ce pays à la législation la plus restrictive au monde en matière d’avortement, les professionnels de santé sont tenus de dénoncer les femmes qui souhaiteraient interrompre leur grossesse, sous peine d’être considérés comme complices du "crime".