- Les neuroprothèses font ressentir au cerveau les mêmes sensations qu'un vrai membre.
- Le cerveau, étant habitué à connaître ces “vraies” sensations avec son ancien membre, n'a pas besoin de s'adapter.
- Il ne fait pas la distinction entre une neuroprothèse et un vrai membre.
Les scientifiques comprennent un peu mieux le fonctionnement du cerveau après une amputation. Dans une étude réalisée par des neuroscientifiques des universités de Chicago et Chalmers (Etats-Unis) et publiée le 22 décembre 2020 dans la revue Cell Reports, il a été démontré que le cerveau ne faisait pas de distinction entre un vrai bras et son équivalent robotisé. En d’autres termes, les sensations ressenties par le cerveau avec une prothèse ou un membre réel sont identiques.
Une prothèse sensible au toucher
Pour cela, trois participants ayant subi une amputation au-dessus du coude ont été équipés d’une neuroprothèse de haute technologie directement reliée à leur humérus. Ainsi, ils pouvaient contrôler la prothèse grâce aux signaux reçus par les électrodes implantées dans les muscles du bras. En retour, ils recevaient une rétroaction sensorielle grâce à un autre ensemble d'électrodes implantées. Le capteur situé sous le pouce de la prothèse déclenchait la stimulation du nerf, qui à son tour provoquait une sensation de toucher.
Les participants ont dû porter la prothèse pendant plus de 12 heures par jour, tous les jours pendant près d’un en et demi. Ils les ont utilisés pour manipuler des objets au cours de leur routine quotidienne. Bien qu'ils aient pu observer leur main en interagissant avec des objets, aucun des utilisateurs avoir ressenti la sensation sur leur pouce, mais plutôt que la sensation a persisté dans la même zone où elle était ressentie à l’origine.
“Chaque jour, pendant un an, ces sujets ont vu leur prothèse de pouce toucher des objets et l'ont sentie à un endroit différent — parfois près du pouce, mais pas sur celui-ci — et la sensation n'a jamais bougé. Pas même un tout petit peu”, assure Sliman Bensmaia, professeur de biologie à l'université de Chicago et auteur principal de l’étude.
Ces résultats remettent en question la plasticité neuronale que notre cerveau est censé avoir après la perte d’un membre. En d’autres termes, il n’y a pas de “recâblage” de notre cerveau pour s’adapter à sa nouvelle morphologie. Dans l'étude, les utilisateurs de prothèses n'ont pas déclaré avoir ressenti la sensation sur le pouce, mais plutôt à d'autres endroits de la main, comme le majeur ou la paume. Cela indique que malgré tout, les sensations sont restées localisées peu ou prou au même endroit. Cette stabilité des sensations tactiles met en évidence les limites de la capacité du système nerveux à s'adapter aux différentes entrées sensorielles.
Des sensations similaires
“Il y a eu cette idée que le système nerveux est vraiment plastique, donc si vous voyez un décalage entre ce que vous voyez et ce que vous ressentez, c'est une grande opportunité pour le remodelage neural, souligne Sliman Bensmaia. Par exemple, si vous cousez deux doigts ensemble et que vous regardez comment cela est représenté dans le cerveau, ils semblent avoir fusionné. Mais je pense que cette idée a été largement exagérée. Vous pouvez obtenir une certaine sensation de chevauchement des membres adjacents, mais c'est juste parce que la zone du cerveau qui répondait auparavant à la sensation est vide, et l'activation des neurones autour d'elle conduit à un écho à travers le vide.”
Son collègue Max Ortiz Catalan, professeur associé de bionique à l'université de technologie de Chalmers, abonde dans son sens. “Nous espérions que parce que les patients saisissaient des objets et ressentaient la sensation ailleurs dans la main, toute la journée et chaque jour pendant plusieurs mois, le cerveau résoudrait le décalage en déplaçant la sensation perçue vers le pouce.”
En définitive, il n’y a pas de remodelage du cerveau qui s’opère lors de la perte d’un membre. Dans le cas où ce dernier serait remplacé par une prothèse, les sensations seront toujours ressenties au même endroit, comme si rien n’avait changé.