C'est une étude épidémiologique sans précédent qui démarre en France sous la direction du démographe Henri Leridon, de l'Institut national des études démographiques (Ined). La cohorte Elfe (étude longitudinale française depuis l'enfance) va inclure 20 000 enfants, qui seront suivis de leur naissance jusqu'à l'âge de vingt ans. Mesures de l'exposition des petits Français aux substances potentiellement toxiques de l'environnement, comme le plomb ou les pesticides, analyse de leur alimentation, suivi de leur état de santé mais aussi de leur développement psychomoteur, études socio-économiques… Au total, 90 projets sont identifiés, qui mobiliseront une cinquantaine d'équipes de recherche. Créée de longue date en Angleterre, plus récemment en Australie, au Canada ou aux Etats-Unis, une telle cohorte manquait cruellement en France. A terme, elle constituera une base de données gigantesque et éclectique, une mine d'or pour les médecins et les chercheurs en sciences sociales. Des premiers résultats devraient être publiés dans les prochains mois, concernant le taux d'acceptation des femmes, et des données périnatales.
Les nouveaux-nés recrutés dans toutes les maternités Après une première étude pilote en avril, qui a confirmé l'accueil favorable du projet Elfe par les parents et les professionnels de santé, une deuxième phase cruciale, pilote toujours, s'est déroulée la première semaine d'octobre dans les maternités de Seine-Saint-Denis et de la région Rhône-Alpes. « L'objectif était de recruter 500 enfants en une semaine et de pratiquer des prélèvements biologiques, précise le Pr Leridon. On a ainsi pu se rendre compte des difficultés logistiques».
Ces prélèvements (non obligatoires) ont consisté en des recueils de sang du cordon ombilical, d'urines et de cheveux maternels. Ils permettront d'évaluer l'exposition à des polluants et la consommation de nutriments des mères. Cette liste d'examens biologiques est cependant susceptible d'évoluer d'ici au commencement de l'étude à l'échelon national, en 2009. Les nouveaux-nés seront alors recrutés dans toutes les maternités françaises, pendant quatre périodes de quatre jours réparties dans l'année. Les chercheurs espèrent ainsi obtenir l'accord de 20 000 parents sur les 35 000 naissances prévues pendant ces 16 jours. La cohorte constituée, les enfants seront ensuite suivis régulièrement, par téléphone ou lors d'entretiens directs. Des collaborations internationales en Europe et aux Etats-Unis Les données les concernant pourront être croisées avec celles d'autres fichiers (notamment ceux de l'Assurance maladie et de la médecine scolaire). Mais « toutes les données rentrées dans la base seront immédiatement anonymisées », promettent les chercheurs. Des collaborations internationales sont aussi prévues, avec les autres cohortes similaires, aux Etats-Unis, en Angleterre et au Canada. L'organisation d'un réseau européen est également programmée. Ces mises en commun de données seront notamment utiles pour l'étude de maladies rares en pédiatrie, tels les cancers. Quant au coût de l'étude, il est estimé à 3,5 millions d'euros pour la première année, puis 0,7 à 1,5 million d'euros ensuite pour les frais directs de collecte. Mais le budget n'est pas bouclé. Selon le Pr Leridon, le financement pour 2009 et après est encore en cours de discussion avec les ministères et partenaires concernés. Questions à Georges Dagher, responsable des biobanques à l'Inserm Des grandes cohortes sont indispensables Avec l'étude Elfe, la France inaugure-t-elle une nouvelle stratégie de recherche ? Georges Dagher. La constitution de cohortes importantes, en nombre d'individus et en durée de suivi, devient aujourd'hui une nécessité pour la recherche médicale. Dans le domaine de l'épidémiologie génétique, par exemple, les études portant sur des centaines de sujets ou de patients ne sont plus pertinentes. Pour obtenir des résultats probants sur le plan statistique, il faut inclure des milliers de personnes. Ces grandes études se développent à travers le monde et en Europe, et font souvent appel à des biobanques, pour stocker des échantillons biologiques (plasma, urine, ADN…). Ils seront analysés en fonction des besoins des chercheurs. Elfe fait effectivement partie de ces nouvelles stratégies de recherche, mais il y a beaucoup d'autres projets de ce type en France.
Quelles sont les autres grandes études épidémiologiques nationales ? G.D. Au total, l'Inserm soutient ces dernières années une vingtaine d'études de population. On peut citer la cohorte E3N, qui, depuis 1990, a inclus 100 000 femmes volontaires de l'éducation nationale, afin d' étudier l'apparition de cancers du sein. Des prélèvements biologiques ont été effectués chez 25 000 d'entre elles. Il y a aussi l'étude des 3 cités, qui doit déterminer la relation entre pathologies vasculaires et maladie d'Alzheimer chez 9000 personnes âgées. La cohorte Gazel recrute 20 000 volontaires parmi les employés EDF-GDF, pour analyser, entre autres, les déterminants de l'alcoolisme. Par ailleurs, la France dispose de 50 à 80 biobanques, en incluant les tumorothèques. Ces collections de tissus ou d'échantillons biologiques sont gérées par différents organismes comme l'Inserm, l'Inca (Institut national du cancer), les hôpitaux universitaires, les facultés de médecine…L'hôpital de la Pitié Salpétrière (Paris) est ainsi en train de regrouper l'ensemble des banques de tissus relatifs aux maladies neuropsychiatriques. Cette plateforme, qui sera prête d'ici un ou deux ans, constituera l'une des plus importantes collections européennes dans ce domaine. Des études sont-elle menées à l'échelle internationale ? G.D. Un projet européen de réseau de biobanques va démarrer en janvier 2008, financé pendant deux ans par la communauté européenne. Dans ce premier temps, il s'agira d'harmoniser l'organisation des différentes biobanques, et leurs procédures d'obtention des prélèvements. Les chercheurs pourront ensuite mettre en commun leurs données et échanger leurs échantillons biologiques, dans le total respect des consentements du patient et des réglementations nationales. Aujourd'hui, 18 pays et 47 biobanques ou réseaux de biobanques sont associés à ce projet, prévu pour durer 20 ans.
Entretien avec S. C. |