Depuis le début de la pandémie de Covid-19, l’usage de la télémédecine a explosé en Occident. Mais si cela a aidé des patients qui sinon auraient renoncé à se faire soigner, aux Etats-Unis, cela a mis en lumière des inégalités importantes, en fonction de l’ethnicité, du statut socio-économique, de l’âge ou de la langue du patient. Telle est la conclusion d’une étude parue le 29 décembre dans le JAMA Network Open.
Dans leur recherche, les scientifiques de la Perelman School of Medicine de l'université de Pennsylvanie (Etats-Unis), qui travaille depuis longtemps à mettre en œuvre des solutions pour faciliter l’accès aux soins aux plus vulnérables, ont examiné les données médicales de près de 150 000 patients. Ces derniers devaient recevoir une visite de soins primaires ou de spécialités ambulatoires entre le 16 mars et le 11 mai 2020, soit la période où le coronavirus a commencé à faire parler de lui pour la première fois aux Etats-Unis.
Suite aux mesures de quarantaine mises en place par le gouvernement, plus de la moitié de ces patients (54%) ont donc finalement réalisé leur consultation par télémédecine. Parmi eux, 46% l’ont effectuée par vidéo. Les chercheurs ont alors pu constater que, dans l’ensemble, les malades âgés de plus de 55 ans avaient 25% de chances en moins de participer avec succès à une consultation de télémédecine que le patient moyen. Ces chances étaient même diminuées de 33% pour les plus de 75 ans. Par ailleurs, les personnes asiatiques et celles qui ne parlaient pas anglais avaient respectivement 31% et 16% de chances en moins de suivre une téléconsultation et celles qui ne parlaient pas anglais.
Rendre “équitable la base de cette nouvelle voie”
“Alors que nous commençons à établir de nouvelles façons de soigner nos patients par le biais de la télémédecine, il est essentiel que nous rendions équitable la base de cette nouvelle voie”, commente l'auteur principal de l'étude, Srinath Adusumalli, professeur adjoint de médecine cardiovasculaire et responsable adjoint de l'information médicale du système de santé de l'université de Pennsylvanie pour la santé connectée.
“Nous espérons que les organismes de réglementation et les payeurs reconnaissent les inégalités potentielles qui pourraient être introduites par les politiques qu'ils créent, qui pourraient inclure le non-remboursement des visites téléphoniques, et conduire potentiellement à un manque d'accès aux soins pour des populations de patients particulières, en particulier celles qui sont touchées de manière disproportionnée par des événements comme la crise Covid-19”, poursuit-il.
Au début de la pandémie, le Center for Medicare and Medicaid Services (CMS) a notamment dû assouplir certaines de ces règlementations concernant la télémédecine. Après avoir pris en considération les patients concernés par ce système, les chercheurs se sont rendu compte que les inégalités au niveau de la téléconsultation étaient encore plus fortes qu’à échelle globale. Ainsi, les moins de 55 ans présentaient au moins 32% de chances en moins d’effectuer une visite vidéo et ceux de plus de 75%, 51% de chances en moins. Les femmes, les latinos et les noirs avaient par ailleurs respectivement 8, 10 et 35% de chances en moins de participer à une visite vidéo que les hommes ou les patients blancs. La tendance étant la même chez les ménages aux revenus les plus faibles.
C’est pourquoi les chercheurs estiment que les CMS devraient apporter plus d’attention aux consultations vidéo. S’ils ont essayé de faciliter le remboursement de la télémédecine par appel téléphonique, les efforts devraient se poursuivre pour les autres formats.
Ajouter un interprète pour les consultations vidéo
“Il est essentiel que la parité de paiement complète pour tous les types de visites de télémédecine, par tous les payeurs d'assurance, soit garantie de façon permanente, déclare Lauren Eberly, chargée de recherche clinique en médecine cardiovasculaire, autrice principale de l’étude. Une réduction du remboursement des visites téléphoniques pourrait nuire de manière disproportionnée et injuste aux cliniques et aux prestataires qui s'occupent des patients minoritaires et pauvres.”
Depuis le début de l'épidémie de coronavirus, Penn Medecine travaille particulièrement sur l’accès aux soins pour les non-anglophones. “Une chose concrète qui a déjà été abordée, sur la base des résultats de cette étude, a été l'ajout de l'intégration d'un interprète en un seul clic pour plus de 40 langues basées sur la vidéo et plus de 100 langues basées sur l'audio pour les soins télémédicaux en hospitalisation et en ambulatoire dans toute notre entreprise”, explique Srinath Adusumalli.
“Nous avons actuellement des recherches plus larges en cours pour mieux caractériser les obstacles spécifiques aux patients et aux prestataires de soins, poursuit Lauren Eberly. Si nous pouvons comprendre ces obstacles, cela pourrait aider à orienter les stratégies de mise en œuvre de la télémédecine qui profiteront à tout le monde.”
Quid de la téléconsultation en France
En France, la téléconsultation, qui peinait à se mettre en place ces dernières années pour diverses raisons (médecins frileux, assurés mal informés…) s’est largement généralisée depuis l’apparition de la Covid-19. D’après Ameli.fr, 5,5 millions de consultations à distance ont été remboursées entre mars et avril 2020, période du premier confinement. Et si la télémédecine s'est avérée utile pour tous les Français en ayant fait usage, elle a surtout servi au suivi des personnes atteintes de maladies chroniques (diabète, obésité, hypertension...), particulièrement à risque face au coronavirus.
Selon un sondage réalisé en juin, 24% d’entre elles y ont eu recours pour consulter un généraliste et 28% pour s'entretenir avec un spécialiste. Mais là encore, on remarquait une certaine disparité sociale puisque la tendance était plus marquée chez les citadins (13% habitent dans une commune de plus de 100 000 habitants) et les jeunes (27% des répondants ont entre 18 et 29 ans).
“Ce résultat n’est pas surprenant et corrobore le sentiment déjà existant selon lequel la téléconsultation correspond à une population plus jeune et active pour laquelle, la plupart du temps, la visite en cabinet médical est impossible à caser dans un agenda déjà surchargé”, analysait alors Lina Williatte, Vice-présidente de la Société française de santé digitale.
Dans le détail, c’est en Ile-de-France que ce service médical a le mieux fonctionné pour les patients chroniques (31% pour un généraliste et 37% pour un spécialiste). Malgré tout, 61% des malades chroniques affirment tout de même ne pas avoir “téléconsulté” leur médecin parce que ce dernier n'avait pas mis ce service en place et 23% par manque de confiance. Etrangement, ce sentiment de défiance semble étonnamment plus prononcé chez les 18-29 ans (38%) que chez les plus de 60 ans (20%).
Une fois déconfinés, 11% des malades chroniques ont continué à consulter leur généraliste par téléconsultation et 15% l'on fait avec un spécialiste. “La téléconsultation n'a pas vocation à remplacer la consultation présidentielle, mais à la compléter”, rappelait pour conclure Lina Williatte. Et d'insister sur l’objectif principal : “rompre l'isolement” et conserver le lien patient-médecin.