Nous vivons dans un monde construit sur les apparences. Ces injonctions, beaucoup plus contraignantes pour les femmes que pour les hommes, incitent les individus à se plier à une norme pour être acceptés par la société. Dans une étude, des chercheurs se sont penchés sur la perception des femmes dans la société et le crédit que celles-ci pouvaient avoir.
Il s’avère que les femmes victimes de harcèlement sexuel seraient plus susceptibles d’être crues si elles sont considérées comme “attirantes”, qu’elles paraissent et agissent de manière féminine. Cette conclusion provient d’une étude menée par des chercheurs des universités de Washington, du Wisconsin et de Princeton (Etats-Unis). Ainsi, la beauté et les règles qui régissent son acception sociale seraient considérées comme des critères déterminants pour juger de la véracité des propos d’une personne. Cette tendance à minimiser la crédibilité d'un témoignage s'il vient d'une victime jugée négativement sur des critères purement esthétiques montre à quel point la culture impacte nos perceptions. Les résultats de ce travail ont été publiés le 14 janvier 2021 dans le Journal of Personality and Social Psychology.
La beauté comme critère de fiabilité?
Les chercheurs ont fait participer plus de 4 000 personnes pour les faire répondre à trois questions essentielles: qui sont les victimes de harcèlement sexuel, qu'est-ce qui constitue du harcèlement et comment les plaintes de harcèlement sont perçues. Les expériences consistaient en grande partie en des scénarios écrits et des portraits manipulés numériquement.
Les scénarios des chercheurs sont inspirés des différentes façons dont, selon les psychologues, le harcèlement sexuel peut se manifester : la coercition, avec une attente de contrepartie; les avances non désirées, sans contrepartie; et le harcèlement sexuel, caractérisé par des commentaires et des comportements hostiles liés au sexe d'une personne. Par exemple, dans un scénario, un superviseur met sa main autour de la taille d'une employée, tandis que dans un autre, un superviseur pose des questions sur le petit ami d'une employée. Certains scénarios constituaient des violations claires et flagrantes de la loi, d’autres étaient plutôt bénins et d'autres encore étaient relativement vagues.
Pour cette étude, les chercheurs sont partis du principe que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à être victimes de harcèlement sexuel. Pour définir l’aspect “prototypique” d’une femme, les chercheurs se sont basés sur des caractéristiques stéréotypés véhiculés par la pop culture et la société: jeune, féminine, conventionnellement attirante, et même faible et incompétente. Afin de matérialiser leurs dires, certains participants ont été invités à dessiner une femme qui a été harcelée. En majorité, les femmes dessinées reprenaient les stéréotypes accolés à la représentation que les personnes se font d’une “vraie” femme.
Selon les résultats, les femmes conformes aux stéréotypes de la féminité sont plus susceptibles de se faire harceler. L'étude a également montré que les femmes qui ne sont pas soumises à ces normes socialement déterminées — les chercheurs parlent de femmes “non prototypiques” — sont plus susceptibles d'être perçues comme ne subissant pas de préjudice du fait du harcèlement. En clair, l'association entre le harcèlement sexuel et les femmes prototypes est si forte qu’une même femme peut être perçue comme plus prototypique lorsqu'on dit aux gens qu'elle est victime de harcèlement sexuel.
Remise en cause de la parole
“Les conséquences de ce phénomène sont très graves pour les femmes qui ne sont pas représentées de manière aussi fidèle qu'une victime, indique Bryn Bandt-Law, une étudiante diplômée en psychologie à l’université de Washington et l'une des principales autrices de l’étude. Les femmes non-prototypes sont négligées d'une manière qui pourrait contribuer à leur faire subir un traitement discriminatoire en vertu de la loi; les gens pensent qu'elles sont moins crédibles — et moins lésées — lorsqu'elles font une réclamation, et pensent que leurs agresseurs méritent moins de punition.”
Sa collègue, Chery Kaiser, autrice principale de l’étude et professeur de psychologie à l’université de Westphalie, abonde dans son sens. “Lorsque vous percevez le harcèlement, vous établissez également un lien avec la féminité, mais la façon dont nous comprenons la féminité est très étroitement définie. Donc pour toute personne qui ne correspond pas à cette définition, il est difficile d'établir un lien avec le harcèlement.”
Les stéréotypes féminins qui régissent la crédibilité d’une femme sont également modifiés en fonction de l'ethnicité, l'orientation sexuelle et l'identité de genre. Ainsi, étant donné que les femmes blanches sont perçues comme des “femmes prototypes”, les chercheurs étudient actuellement si les femmes noires sont perçues comme moins crédibles et moins victimes de harcèlement sexuel. “Si nous avons des perceptions biaisées du préjudice pour les femmes non prototypiques, cela changera radicalement leurs résultats juridiques, déplore Bryn Bandt-Law. Si on ne les croit pas, on les réduit en fait au silence.”
Un changement s’est amorcé depuis quelques années avec le mouvement #MeToo, initié par la militante américaine Tarana Burke. Ce mouvement de contestation mondial a été déclenché suite à l’affaire Harvey Weinstein, un producteur de cinéma accusé de viol, d’agression sexuelle et de harcèlement. Depuis, des femmes font remonter les travers de notre société et les difficultés qu'elles subissent au quotidien dans un monde où les hommes, à cause de leur statut social ou de l'emprise qu'ils peuvent avoir sur elles, ont visiblement décidé de leur manquer de respect.