- En février 2020, vous postez une photo de vous et un texte sur Instagram pour raconter la réalité du post-partum, dans le contexte d’une publicité plutôt réaliste sur cette période de la vie des femmes, censurée par l’Académie des Oscars et ABC news : qu’est-ce qui vous a poussé à faire cette publication ?
Illiana Weizman : Quand j’ai découvert la censure de cette publicité, j’étais en colère, or la colère est un moteur dans mes engagements. Je n’ai pas vraiment eu conscience de ce que je faisais et j’ai posté cette photo dans la seconde. J’avais besoin de faire quelque chose et je me suis dit : "on censure ce corps, alors, moi à ma petite échelle, je vais poster une photo de moi lors de mon post-partum." Quelques femmes l’avaient déjà fait aux États-Unis, dont Ashley Graham (une mannequin américaine ndlr).
- Vous racontez alors : "me voici, portant une couche pour adulte, épongeant le sang qui coule pendant des jours et des semaines, le ventre encore gonflé, l’utérus encore étendu, les contractions qui le remettent doucement en place, les jambes bleuies, les points qui tirent, l’impossibilité de s’asseoir sans douleurs, l’urine qui brûle, l’impression d’être passée sous un rouleau compresseur." À l’époque de votre post-partum, vous n’en avez parlé à personne…
I.W. : Non, même pas à mon mari, ou à demi-mot, je ne pleurais jamais devant lui, mais toujours quand j'étais seule, dans les toilettes ou la salle de bain. Dans ces moments, on se sent isolée, on se dit que si personne n’en parle. Par exemple, je suis très proche de ma mère, mais elle ne m’en a pas parlé. Quand ça n’allait pas, j’ai essayé de lui poser des questions, de lui demander si ça avait été dur aussi pour elle, mais elle me disait que non, que les enfants c’est merveilleux. Le discours dominant est tellement ancré, que les mères l’intègrent et le ressortent à leur tour. Lorsqu’on devient mère, il y a cette idée omniprésente selon laquelle la seule émotion que l’on peut ressentir c’est le bonheur. Tout ce qui est sombre, on ne peut pas en parler. Or cela a des conséquences sur la mère, mais aussi sur toute la cellule familiale.
- Quel a été l’écho de cette publication ?
I.W. : Il y a eu plein de partages et de réactions, j’ai senti que quelque chose frémissait. Juste après, j’ai proposé d’écrire une tribune pour le site Cheek Magazine. Il y a eu ensuite une libération de la parole : des femmes m’écrivaient des pavés pour me raconter leur post-partum, alors même qu’elles ne me connaissaient pas. Je trouvais ça incroyable : elles n’en avaient parlé à personne et le partageaient maintenant avec une étrangère. Avec trois autres militantes, Ayla Linares, Morgane Koresh et Masha Sacré, nous avons eu l’idée de lancer un hashtag sur Twitter #MonPostPartum. Nous nous sommes dit que ça pourrait avoir un écho, mais nous ne pensions pas que ça prendrait une telle ampleur : entre 10 et 15 000 personnes l’ont repris dans les 24 heures. Des médias nous ont contactées par la suite, et cela a mis de la lumière sur ce sujet.
- Comment est né le projet du livre ?
I.W. : Dans la semaine qui a suivi le lancement du hashtag, j’ai eu une proposition éditoriale. J’étais ravie car ça permettait de creuser la question du post-partum et d’inscrire ce combat dans le temps, contrairement aux réseaux sociaux où les choses sont plutôt éphémères.
- Quel message souhaitez-vous faire passer avec cet ouvrage ?
I.W. : J’aimerais qu’il permette aux femmes de se libérer, qu’il soit un outil de prise de conscience. Ce n’est pas une problématique individuelle, au contraire, le problème est collectif et dû à un système qui nous abandonne pendant cette période. Lorsqu’on a intégré cela, alors on peut sortir de la culpabilité et réussir à en parler. Sur le long terme, il faut un changement de système, que le modèle patriarcal de la maternité prenne fin.
- Qu’est-ce qui pourrait permettre ce changement ?
I.W. : Une femme sur cinq est touchée par la dépression post-partum : c’est un problème de santé publique, donc il faut des politiques adaptées pour permettre un accompagnement important après l’accouchement. Cela passe par des investissements et des réformes, comme celle du congé parental. Il faut que le co-parent soit aussi présent que la mère. C’est une période chaotique, de convalescence et qui a beaucoup de conséquences. Partager les tâches dès le départ permet d’éviter que les inégalités se creusent entre les deux parents. Lorsque le co-parent est moins présent, c’est inévitable, il est moins investi, donc moins expert, et la charge mentale repose sur la mère. Cela peut être pour des choses aussi simples que savoir quelle crème mettre lorsque l’enfant a les fesses rouges, il y a une accumulation de petits détails qui créent cette charge.
- Dans l’accompagnement des femmes, est-ce qu’il y a des pays où la prise en charge est mieux réalisée ?
I.W. : Oui, je pense aux Pays-Bas par exemple : pendant les huit premiers jours qui suivent l’accouchement, une sage-femme est présente tous les jours, pendant huit heures pour assister la mère dans les premiers soins, le démarrage de l’allaitement. En France, il y a des choses aussi, mais il faudrait qu’elles se développent et surtout que les mères soient informées de leur existence. Je pense notamment à la dizaine d'unités parents-enfants, qui sont des structures multidisciplinaires, au Prado, un dispositif d’aide au retour à domicile avec notamment le suivi par une sage-femme libérale, ou encore au TISF, technicien de l’intervention sociale et familiale mère et l’enfant, qui a pour rôle d'aider les familles.
- Que souhaitez-vous faire maintenant ?
I.W. : Je continuerai à en parler encore et encore, pour aider d’autres personnes. Je reçois encore beaucoup de messages de personnes, qui me disent qu’elles en parlent autour d’elles, à des amies enceintes, etc. Surtout, je compte aider le mouvement global autour du post-partum, pour qu’il y ait des changements politiques réels.