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QUESTION D'ACTU

L'entretien du week-end

Claire Touzard : «Exemple d'une sobriété heureuse, mon conjoint a été le déclic pour arrêter de boire»

Après deux décennies de consommation excessive, la journaliste Claire Touzard a décidé d’en finir avec l’alcool. Un sevrage d'un an qu’elle raconte dans le livre "Sans alcool" (Ed. Flammarion). 

Claire Touzard : \ itakdalee / istock.




- Pourquoi docteur : Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Claire Touzard - J’ai commencé à écrire ce livre au moment où j’ai décidé d’arrêter de boire, cela a été une sorte d’écriture thérapeutique.

Je voulais aussi témoigner qu’il est possible d’avoir une sobriété heureuse et joyeuse, car je trouve que l’on manque de témoignages positifs sur l’arrêt de l’alcool. Mon but n’est pas de prôner l’interdiction de l’alcool, mais de montrer à tous ceux qui en souffrent que la sobriété est un choix tout à fait possible, et pas une anomalie.

Mon livre illustre également l’existence d’une « zone grise de l’alcoolisme » : il ne faut pas nécessairement boire seule et très tôt le matin pour être alcoolique.

- A vous lire, on comprend que la rencontre avec votre conjoint a été votre déclic pour arrêter de boire, et qu’il vous a beaucoup aidée dans votre démarche. Avez-vous fait appel à d’autres aides pour arrêter l'alcool ?

Mon conjoint a effectivement été un déclic, car il m’a montré qu’on pouvait vivre heureux sans alcool. Avant lui, je ne m’étais jamais figurée cette idée, car pour moi l’alcool était associé à la fête et à la convivialité. Le fait de pouvoir en discuter avec lui m’a aussi beaucoup aidée à franchir le cap, car l’échange avec l’autre est extrêmement important dans l’arrêt de l’alcool.

Au début de mon sevrage, je me suis également appuyée sur une application, et j’ai été aux Alcooliques Anonymes. Enfin, la psychiatre et addictologue Fatma Bouvet m’a suivie. Aujourd’hui, je n’ai pas encore trouvé de thérapie sur le long terme.  

- Vous décrivez que vous buviez vite, en grande quantité. Pratiquiez-vous ce qu’on appelle le "binge drinking" ("boire vite et beaucoup", en anglais)  ?

J’ai effectivement commencé à boire au lycée en pratiquant le "binge drinking". Je pense que j’ai été attirée par l’esprit "spring break", qui venait des Etats-Unis. A l’époque, le phénomène du binge drinking commençait tout juste à émerger, alors qu’il est aujourd’hui très populaire chez les jeunes.

Avant d’arrêter l’alcool, je buvais à peu près une bouteille tous les soirs, seule ou accompagnée. C’est souvent face à sa consommation solitaire qu’on se rend compte du problème. D’ailleurs, avec le confinement et le couvre-feu, beaucoup de gens n’ont plus l’excuse de la fête et de la mondanité pour boire, ce qui les interroge sur leur consommation.

- The Queen Gambit, Desperate Housewifes, Girls… De nombreuses séries mettent en scène des femmes qui boivent régulièrement, sans se départir de leur beauté et de leur intelligence. Cela correspondait-il à votre réalité ?

C’est vrai que boire de l’alcool exaltait mon côté romanesque et aventurière, que je ne regrette pas entièrement.

Très jeune, l’alcool m’a aussi servi à me rebeller contre les codes conventionnels de la féminité. Par la suite, cela m’a permis de supporter les injustices que je vivais en tant que femme, l’alcool jugulait ma colère. C’était une sorte de médicament contre le patriarcat, qui me permettait d’occuper le territoire masculin. En ce sens, ma consommation correspondait à celle de ces héroïnes mises en avant par la pop culture, qui sont indépendantes, occupent des gros postes et boivent le soir un ou deux verres d’alcool pour décompresser.

Le problème, c’est que les deux verres se transforment généralement en bouteille, et que le lendemain matin, tout s’arrête. On boit pour écraser la pression sociale, mais paradoxalement, on se fait du mal à soi, et pas du tout au système. En buvant, je cherchais à ressembler à une super héroïne, mais en vérité, l’alcool me faisait confondre qui j’étais avec qui je voulais être.

- Vous a-t-il été difficile d’arrêter de boire, et si oui pourquoi ?

Cela a surtout été dur psychologiquement. Pendant des mois, j’ai dû user de toute ma volonté pour arriver à enrayer mon habitude de boire. En revanche, je n’ai pas eu de manifestations physiques de sevrage, comme le delirium tremens.

- Vous rapportez la première réaction assez négative de votre votre beau-père à l’annonce de votre arrêt. Votre entourage voit-il votre sobriété comme quelque chose de positif ?  

J’ai eu effectivement des réactions assez vives au début, qui m’ont étonnée. Quand on arrête de boire, on est un peu un miroir tendu vers la consommation de l’autre sans le vouloir, ce qui peut agresser. Boire est tellement une norme de convivialité en France, que finalement, quand on est sobre, on devient une sorte d'anomalie, un trouble-fête… Comme si on refusait de partager avec les autres. C’est cette pression sociale qui rend l’arrêt de l’alcool si dur en France.

Mais aujourd’hui, un an et un mois après avoir arrêté l’alcool, les personnes qui m’ont fait des réflexions un peu malencontreuses au début sont les premières à me soutenir, comme mon beau-père.

Au fil du temps, j’ai parlé à tout mon entourage de ma démarche. Cela a ouvert beaucoup de discussions sur ce sujet tabou, dont personne n’ose parler.

- Vous évoquez la Bretagne et votre milieu familial comme des cercles où l’alcool est très présent. Idem pour le journalisme. Pensez-vous que cela a eu une influence sur votre consommation d’alcool ?

Oui, car les Bretons ont un rapport particulier à l’alcool, mais c’est la France entière qui pousse à la consommation. On boit aussi beaucoup dans le Nord, dans le Sud, en Normandie… Quant à Paris, il y a des bars à tous les coins de rue. Concernant le journalisme, c’est bien sûr un métier où on ne lésine pas sur la bouteille, mais j’ai l’impression que c’est le cas dans beaucoup d’autres activités.

Donc pour moi, l’alcoolisme n’est pas propre à mon histoire, mais à la culture française. Dans une société très axée sur le bien-être, l’alcool reste paradoxalement le dernier bastion de plaisir, qu’on attaque peu. Lorsque je buvais, j’allais à la salle de sport trois fois par semaine, ce qui ne m’empêchais pas de faire des apéros de cinq heures.

- Vous évoquez également votre solitude comme facteur de consommation. Pourtant, vous ne sembliez pas l’être ?

C’était de la solitude amoureuse. J’ai été célibataire pendant huit ans, sans enfant. A mon âge (38 ans, NDLR), ce n’est pas facile. Et quand je voyageais beaucoup, j’avais moins d’amis que maintenant, car j’étais tout le temps partie. Par ailleurs, ma famille n’était pas à Paris. Je pense que beaucoup de gens se sentent seuls, et boivent pour cette raison-là.

- Est-ce toujours difficile de résister à l’alcool ?

Je ne sais pas si j’ai passé un cap, mais en ce moment, ça va. Depuis que j’ai accouché, je n’ai pas envie de reprendre du tout, je pensais que ce serait beaucoup plus dur. Je suis tellement heureuse d’être libérée de quelque chose qui me faisait du mal, que je n’ai plus envie de revenir en arrière.

- Qu’est-ce qui vous fait tenir ?

Les bénéfices à long terme de l’arrêt de l’alcool compensent largement le plaisir à court terme de boire un verre. Mais ça, c’est difficile à percevoir quand on consomme de l’alcool.

J’ai beaucoup moins d’idées noires, et je souffre beaucoup moins d’anxiété. On pense à tort que l’alcool atténue ces sensations, alors qu’en fait, la boisson les décuple. Je suis moins fatiguée, moins agressive, et n’ai par ailleurs plus de gueule de bois. C’est un état dont on rigole beaucoup, mais en vrai, avoir la gueule de bois n’est pas drôle du tout, surtout quand c’est tous les jours. C’est une souffrance physique (au niveau du ventre, de la tête…) et psychologique.

- Pensez-vous que la reprise d’une consommation modérée soit possible, ou est-ce trop dangereux ?

Cela me paraît impossible de reboire modérément, même si des thérapeutes spécialisés dans l’addiction disent que c’est envisageable pour certains patients. C’est à chacun de voir ce dont il est capable, mais moi, si je bois un verre, j’en bois dix.  

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