Ils appartiennent aux catégories les moins à risque face à la Covid-19 et pourtant ils sont aussi de vraies victimes de la crise sanitaire. Parcours étudiants bouleversés, intégration compliquée dans le monde du travail, disparition de nombreux petits boulots et stages, précarisation, vie sociale empêchée : les jeunes vont mal. Au point que le gouvernement a mis en place un "chèque psy" pour qu'ils puissent bénéficier d'un soutien. Pour Pourquoi Docteur, ils témoignent sur l'impact de cette crise sur leur quotidien et leur santé mentale.
Innocent Vermorel-Molo a 26 ans et est étudiant en troisième année de licence de Droit/Sciences politiques à l’université Lyon 3. Il est l’un des fondateurs de Génération Covid, un collectif créé après le suicide d’un étudiant.
Pourquoi Docteur : Comment vous sentez-vous ?
Innocent Vermorel-Molo : C’est compliqué. D’un point de vue scolaire, le tout numérique, on n’est pas le pays le mieux adapté pour ça. Suivre des études au travers d’un écran, ça n’est pas possible. Pour distiller les connaissances, il faut un contact pour pouvoir interagir et quand on est 150 derrière un écran à suivre un cours ça n’est pas possible.
D’un point de vue professionnel, ça ne va pas. Depuis plusieurs années, je travaille. Mon papa est décédé en 2018 et il se trouve que le travail est devenu essentiel pour moi mais actuellement ce n’est plus possible. J’ai pu travailler jusqu’à fin 2020 mais l’entreprise a fermé. Elle a fait faillite. J’étais enquêteur téléphonique le soir. Résultat, je me retrouve sans rien. J’envoie plein de CV et de candidatures mais sans succès. Je vis sur mes économies mais elles ne sont pas illimitées. J’arrive à un point où je n’ai plus de ressource puisque depuis fin novembre je n’ai plus de rentrée d’argent. Mes économies, qui n’étaient déjà pas dispendieuses, ont fondu.
Avez-vous l’impression de passer à côté de la vie étudiante ?
J’essaie toujours de voir le côté positif mais ça devient de plus en plus difficile. J’ai vécu une bonne partie de ma vie étudiante avant la Covid puisque que j’ai mené des études de stratégie financière avant de me réorienter en droit. Mais les dernières années sont censées solidifier l’individu que je dois être et on est en train de mettre un coup de pied dans cet édifice. C’est très compliqué. J’ai l’impression qu’il y a tout un pan de ma vie qui est mis entre parenthèses. J’ai l’impression que je peux dormir et me réveiller dans 1 an sans n’avoir rien manqué. Beaucoup de mes camarades sont aussi comme ça, dans le meilleur des cas. Il y en a beaucoup qui broient du noir. Quand ils ne décrochent pas, ils ont des pensées suicidaires, anarchistes.
Et vous, avez-vous eu ce genre de pensées ?
J’ai plutôt des pensées de résignation. Je me dis que je vais arrêter mes études, que ça ne sert à rien. Si c’est pour gagner le SMIC et faire des métiers qui ne me plaisent pas, autant commencer dès maintenant.
Avez-vous le sentiment d’être pris en compte par les pouvoirs publics ?
Non. On n’est pas écoutés. Je dirais même que l’on n’est même pas considérés comme une composante professionnelle. Pour beaucoup, nos décideurs considèrent que nous sommes à la charge de nos parents. Personnellement, je ne le suis plus depuis plusieurs années. En plus, on nous reproche de nous plaindre. On finit par se dire que ça ne sert à rien de discuter. Pour nous en sortir on essaie de faire des choses à notre échelle.
Vous êtes l’un des fondateurs de Génération Covid, quel est le but de ce collectif ?
Dimanche 10 janvier, nous avons reçu un mail du président de l’université disant qu’un camarade a tenté de se suicider. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. J’ai créé un groupe, 5 personnes m’ont suivi. Aujourd’hui nous sommes 17 à gérer ce groupe qui réunit plus de 2 000 personnes. L’objectif est d’être un point de ralliement pour les étudiants et un lieu où ils peuvent s’exprimer. Même si les étudiants ont leur famille, sur ce groupe ils peuvent parler avec des gens qui vivent la même chose qu’eux, ont le même âge et partagent la même situation émotive. C’est également un lieu pour centraliser les lieux d’aide psychologique et financière. On sait que 1 étudiant sur 2 a besoin de travailler pour financer ses études donc on les redirige vers, par exemple, le site de notre faculté qui a mis en place une aide de 500 euros ou encore les aides du Crous. Il y a également des aides alimentaires.
Comment avez-vous vécu personnellement cette annonce ?
Psychologiquement, ce fut très compliqué. Je l’ai pris de plein fouet et je n’ai pas l’impression que du bruit a été fait sur cette histoire. Des corps de métier ont su se fédérer pour se faire entendre mais nous, les étudiants, on se fait peu entendre. Il y a un autre moment où je me suis dit qu’il vaudrait mieux que j’arrête mes études et que je me batte pour nous les jeunes, c’est quand une étudiante de la Sorbonne s’est suicidée. Avant, il y avait des tentatives et désormais ce sont des vies qui sont perdues. Je me suis demandé si j’avais les épaules solides. Depuis cette semaine, je n'arrive plus à lire les témoignages des étudiants qui nous sont envoyés sur Génération Covid. Je les redirige directement. Je me suis retrouvé à pleurer quand j’ai appris ce suicide à La Sorbonne. On nous dit qu’il ne faut pas généraliser ce cas-là, on va trouver toutes les raisons pour dire qu’il ne faut pas se plaindre et que même si c’est tragique, il ne faut pas le prendre comme tel.
Avez-vous été voir un psychologue ?
Non. Pour l’instant j’estime que je tiens. Quand je repense aux témoignages que j’ai pu lire, je me rends compte que je vais mieux que d’autres. Un ami m’a téléphoné récemment en me disant qu’il ne sort plus de chez lui, qu’il a des pensées suicidaires. Déjà que les psychologues ne sont pas nombreux, je considère que d’autres sont prioritaires. Même si je voulais, il y a au moins 2 mois d’attente. Nous avons un psy pour 40 000 étudiants. J’essaie de discuter avec ma mère, des amis pour ne pas me renfermer. Tout le mois de décembre je suis allé courir tous les jours. J’ai couru 410km en tout. Avant j’allais à la salle de sport, c’était un peu mon défouloir mais je ne peux plus. Je me dis également que si je ne me force pas à discuter, je vais basculer. C’est un peu mon fil d’Ariane.
Qu’attendez-vous en tant qu’étudiant ?
Je pense à mes camarades en difficulté psychologique. Il faudrait un vrai plan national pour sauver la jeunesse. Ça n’est pas en rajoutant un 2eme psychologue à l’université que cela va changer. Ça n’est pas en envoyant un mail que l’on va aller mieux. Je suis un peu résigné. Contrairement à ce que dit le gouvernement, on est nombreux à ne pas avoir les parents derrière pour nous soutenir financièrement. Ça n’est pas non plus simple de demander des aides. Les étudiants qui demandent des aides ont l’impression de se mettre à nu. Ils doivent sortir les dépenses des 3 derniers mois et se font engueuler pour leurs dépenses comme s’ils avaient dû anticiper cette situation. Pour l’aide alimentaire, les associations font beaucoup mais leurs moyens ne sont pas illimités. Il y a aussi beaucoup d‘étudiants qui n’osent pas. Pour les jeunes, il n’existe aucune aide temporaire. Quand j’entends le Président, les ministres, je n’attends plus rien. Ils ont réussi à définitivement nous dégouter des décideurs de la vie démocratique et politique. Je suis désabusé. Je vais plutôt essayer de trouver des solutions avec des amis, des camarades. Je vais dire aux politiques de rester loin de nos initiatives, de continuer à ignorer les gens, ce sera mieux comme ça.