Ils appartiennent aux catégories les moins à risque face à la Covid-19 et pourtant ils sont aussi de vraies victimes de la crise sanitaire. Parcours étudiants bouleversés, intégration compliquée dans le monde du travail, disparition de nombreux petits boulots et stages, précarisation, vie sociale empêchée : les jeunes vont mal. Au point que le gouvernement a mis en place un "chèque psy" pour qu'ils puissent bénéficier d'un soutien. Pour Pourquoi Docteur, ils témoignent sur l'impact de cette crise sur leur quotidien et leur santé mentale.
Marie Mesmeur a 26 ans. Elle est médiatrice sociale au service de santé des étudiants à l’université Brest-Occidental (UBO) et reçoit de nombreux étudiants en entretien individuel qui évoquent leur détresse.
- Pourquoi Docteur : Qu’est-ce qui ne va pas chez les étudiants que vous recevez en entretien ?
Marie Mesmeur : J’observe une détresse accrue qui est passée par l’introspection. J’ai eu très peur avec les suicides étudiants à Lyon ou à Brest de l’effet contagieux de l’acte qui pourrait investir les pensées des autres étudiants. Il y a des étudiants qui se reconnaissent dans cette situation et ils se sentent acculés par une situation de mal-être. En fin d’année, il y avait l’adrénaline des partiels mais l’effet d’après, c’est le vide. Avec le couvre-feu, c’est très compliqué. Pour nous, le nombre d’appels pour des consultations psychiatriques a plus que doublé. Aujourd’hui (l’entretien a été réalisé vendredi 22 janvier, ndlr), j’étais au standard et deux appels sur trois étaient pour demander des entretiens avec un psychologue. Le problème c’est que nous avons 1,5 psychologue pour 30 000 étudiants et 3 heures de psychiatre par semaine. Il y a au moins 3 semaines de délai.
- Pourquoi se sentent-ils dans une telle situation de détresse ?
Ils sont dans une situation financière très inconfortable qui est devenue dangereuse et morbide. Cette situation les plonge dans une angoisse permanente et leur a fait perdre tout sens. Les étudiants me disent qu’ils ne sortent plus de chez eux, qu’ils restent au lit puisque tous leurs cours se font à distance. Ils n’ont plus de goût de manger et de toute façon ils n'ont pas forcément l'argent pour bien manger. Le soir, ils enchainent des films pour se détendre. Leur seul élément de contact c’est l’ordinateur, de 8h à 1h du matin, tous les jours. Il y a à la fois une déconnexion et une sur-connexion. La situation est très anxiogène.
Récemment, une étudiante a lancé un questionnaire à destination de tous les étudiants en Lettres à Brest. Les premiers résultats, qui portent sur 1 300 réponses sur les 6 000 attendues, montrent que 19% des étudiants déclarent avoir eu des pensées suicidaires dans les derniers jours.
Il y a beaucoup d’étudiants qui tombent malades parce qu’ils ne mettent pas le chauffage par manque de moyen. Il y a aussi beaucoup de migraines ophtalmiques à cause du temps passé sur les écrans. D’autres ont des rages de dent qu’ils ne peuvent pas soigner parce que le dentiste coûte trop cher. Ils ne se sentent pas écoutés et pointés du doigt parce qu’ils sont jeunes. Pendant sa dernière conférence de presse, Emmanuel Macron a ironisé sur le fait que les jeunes n’attendent qu’une chose : la réouverture des bars. Mais leurs préoccupations ne sont pas là. Ils ont peur pour leur santé physique et morale, et leur avenir. La précarité c’est multi dimensionnel.
- Quelle prise en charge existe-t-il pour ces étudiants ?
Il y a des étudiants bénévoles qui aident au recours au droit et qui enchainent les demandes de mutuelle ou de CAF pour ceux qui en ont besoin. Ils finissent par faire plus et par se transformer en psychologues improvisés. Il y a également une infirmière qui a obtenu du temps pour pouvoir faire de l’écoute parce qu’il y a vraiment beaucoup de demande. Une autre infirmière fait de la sophrologie ou de la réflexologie plantaire. Une autre fait des séances d’auto hypnose. Il y a trois assistantes sociales qui sont à disposition pour les 30 000 étudiants. Ce n'est pas beaucoup. Nous avons également une psychiatre mais le prochain rendez-vous est le 2 mars. Pour les psychologues, c’est le 9 février mais quand les étudiants entendent le délai, il y en a beaucoup qui laissent tomber.
- Sentez-vous que la situation psychologique des étudiants se dégrade ?
Je sens que psychiquement c’est de pire en pire. Ils sont à fleur de peau. J’étais récemment avec une étudiante que je connais depuis longtemps, de nature très gaie et ouverte. Ses yeux se sont remplis de larmes simplement après avoir entendu le mot confinement. Les étudiants sont fébriles, épuisés. Ils sourient moins que d’habitude. Ils ont besoin de parler, que ça sorte.
- Qu’attendent-ils ?
Ils veulent juste un moment d’échange avec quelqu’un. Ils veulent sortir de leur précarité financière, ne plus avoir à penser à l’argent ou à leur famille. Par-dessus tout, ils ont besoin de parler d’eux. Après mes entretiens, un étudiant sur deux m’envoie un mail de remerciement en expliquant que parler lui a fait du bien.
Sinon, la préoccupation principale c’est le financier, surtout pendant l’hiver avec le chauffage et la nourriture qui apportent du réconfort et dont ils se privent.
Ces derniers temps, on a un peu plus entendu parler des étudiants. Il y a un sentiment “d’enfin on parle de nous” mais ils ont peur que cela s’arrête du jour au lendemain. Ils ont peur de l’effet d’annonce. Il y a une extrême angoisse qu’un nouveau confinement fasse que tout ça s’arrête et qu’ils se retrouvent encore seuls. Un troisième confinement leur parait difficile à supporter.
- Arrivent-ils à se projeter à plus long terme ?
Il y a plusieurs profils : ceux qui ont déjà arrêté, ceux qui veulent se réorienter et ceux qui survivent et se laissent porter par la situation. Ce qui est compliqué, c’est pour les étudiants qui sont en dernière année de Licence et qui s’apprêtent à passer en Master. Ils ont une Licence tronquée, ils ne savent pas où aller, s’ils doivent garder leur appartement ou pas avec la peur de ne pas en retrouver un autre. Il y a également ceux qui sont en deuxième année de Master qui doivent rentrer sur le marché du travail. Ils n’arrivent déjà pas à trouver de stage donc ils se disent que ce sera la même chose pour trouver un premier emploi. Puis il y a ceux qui veulent aller à l’étranger. Pour certains c'est obligatoire dans leur cursus et ils se disent qu’ils vont devoir redoubler.
Les étudiants étrangers, ce sont les plus précarisés et les plus présents en cité universitaire. Cela fait un an qu’ils n’ont pas vu leur famille et pour certains ils ne connaissent presque personne. Les cours sont très compliqués pour eux parce que le français n’est pas leur langue maternelle. Ils ont également des problèmes de visa. Beaucoup ont reçu des récépissés pour recevoir des visas mais le délai n’est que de 3 mois et les délais sont devenus fous en Préfecture et ils se retrouvent en situation d’irrégularité. En plus de cette peur, ils n’ont pas de mutuelle, pas de CAF, pas de droit parce qu’ils n’ont pas de visa à jour. Ils ne peuvent pas recevoir les APL. Ils font du non recours aux soins. En plus de ne rien avoir, ils sont seuls dans un pays étranger. Et ce sont ceux qui ont le moins de logements, de stages.
- Quel regard portent les étudiants sur l’avenir ?
Ils ont le sentiment de passer après tout le monde, que ce soit pour le vaccin ou le déconfinement. Ils ont intégré qu’ils seront précaires longtemps et ça les assomme. Même s’il y a des échanges entre étudiants, il n’y a jamais eu autant de sentiment d’individualité. Si on doit aller mieux, réussir, il va falloir se battre parce que rien ne leur est donné, que ce soit des stages ou des aides sociales. Pour certains, c’est une honte personnelle de se faire aider. Il y en a qui viennent et qui s’effondrent en disant que venir nous voir est leur dernier recours. Faire cette démarche c’est une prise de conscience qui est violente. Des étudiants nous ont demandé de les accompagner dans les banques alimentaires parce qu’ils ont honte. C’est réel. Il y a également des choses que l’on ne me demandait pas avant comme corriger des lettres de motivations. Ça n’est pas mon travail mais ils n’ont plus confiance en eux et ne savent plus vers qui se tourner. Ils se sentaient fort de leur jeunesse, de l’avenir et avaient des projets mais tout ça a été remplacé par le vide du moment présent et l'angoisse concernant l’avenir. C’est compliqué aujourd’hui de mettre un sens au statut d’étudiant.
- Et vous, comment arrivez-vous à garder pied en écoutant quotidiennement cette détresse étudiante ?
J’essaie de ne pas y penser. J’enchaîne des cas inquiétants. J’entends de la tristesse, de la souffrance, je vois des yeux qui pleurent, des mains qui tremblent, d’autres qui n’ont plus d’eau chaude depuis 2 mois... Je m’inquiète parce que je me suis liée avec beaucoup d’entre eux. Je suis contente que beaucoup n’hésitent pas à me contacter, m’écrire quand ça ne va pas. Du coup c’est compliqué. Quand je les vois tout remettre en question, je les comprends, je suis comme eux et c’est très dur. C’est triste mais ce travail de reconnaissance je vois que ça leur fait du bien donc ça me fait du bien. J’ai l’impression que lorsque l’on parle d’étudiants, on parle de squelettes mais ce sont des humains qui affrontent plein de choses. Je suis dans une équipe donc on peut en parler mais parfois on est assommés par une nouvelle un peu dure. On a des sentiments d’injustice, comme pour ceux qui n’ont pas de visa. Je passe tout mon temps libre pour les aider.