Ils appartiennent aux catégories les moins à risque face à la Covid-19 et pourtant ils sont aussi de vraies victimes de la crise sanitaire. Parcours étudiants bouleversés, intégration compliquée dans le monde du travail, disparition de nombreux petits boulots et stages, précarisation, vie sociale empêchée : les jeunes vont mal. Au point que le gouvernement a mis en place un "chèque psy" pour qu'ils puissent bénéficier d'un soutien. Pour Pourquoi Docteur, ils témoignent sur l'impact de cette crise sur leur quotidien et leur santé mentale.
Hugo Prevost, 21 ans, est étudiant en troisième année d 'Economie à Grenoble. Représentant d'un syndicat étudiant, il accompagne aussi une association qui mène des actions d'aide alimentaire pour les plus démunis.
- Pourquoi Docteur : Les jeunes semblent vivre très mal cette crise sanitaire. Vous partagez ce constat d’une jeunesse en souffrance ?
Hugo Prévost : Oui complètement, le fait de suivre ses cours en distanciel sans aucun lien humain, dans une désorganisation générale, c’est très dur. On n’a pas du bureau, on n’a pas d’endroit ou sortir, on n’a pas de raison de sortir, le plus grand aller-retour c’est du lit au fauteuil pour être devant son ordinateur et inversement. Ce malaise est très partagé chez tous les étudiants
- Personnellement, que ressentez vous ?
Je suis fatigué tout le temps, j’ai la flemme ! Je ne suis pas de ceux qui ont tendance à avoir des troubles psychiques mais on ne se sent pas très bien, tout a un goût un peu morose. Ces cours à distance, cela devient une tâche répétitive. Pourtant, je suis passionné par ce que je fais mais on n’a plus de goût pour apprendre, suivre les cours, partager, parce ce que l’on ne comprend pas bien l’intérêt. Et puis quand la principale question devient de savoir si on peut faire les courses pour la fin du mois, forcément on pense à autre chose pendant les cours.
- Qu’est-ce qui vous pèse le plus ?
C’est le fait que l’on a besoin de voir des gens, de se sociabiliser. Moi, cela va, je suis en colocation donc je vois quelques personnes. Mais on est réduit à ne partager qu’avec un très petit cercle, avec des gens qui sont tous dans la même situation. Et il n’y a plus d’intermédiaire qui facilitent nos relations : avant on allait au cinéma, on pouvait parler du film, on allait au restaurant on pouvait évoquer ce moment passé ensemble, là il n’y a pas grand-chose à se dire et les relations sociales sont difficiles à construire ou à conserver.
- Que faites-vous pour tenir ?
J’ai une situation un peu particulière, je suis représentant syndical étudiant donc j’ai des missions à ce titre. Par ailleurs on a monté une association d’entraide alimentaire, on distribue des paniers repas toutes les semaines donc j’ai quand même quelques activités. Pour moi c’est cet engagement qui me permet de tenir, je me sens utile dans ce que je fais. Sinon, eh bien, on a ressorti les jeux de société …
- Les contraintes liées à la situation sanitaire, la précarité due à la crise économique, qu’est-ce qui est pour vous le plus dur ?
Les deux sont liées. Le fait de ne pas pouvoir avoir un train de vie convenable, de ne pas pouvoir aller au marché pour faire un peu de cuisine. Et encore je ne suis pas parmi les plus à plaindre. Et puis le fait de ne pas se sentir utile, de ne pas savoir ce qui vas se passer, ce que l’on va faire, cela pèse énormément.
- Vous êtes parvenu à conserver un petit boulot ?
Je travaille toutes les vacances, je suis sur les marchés dans le commerce alimentaire. Mais actuellement, j’ai beaucoup moins de travail : j’ai fait 12 heures sur toutes les vacances d‘hiver alors qu’habituellement j’en fais 4 ou 5 fois plus.
Et encore, je suis aidé par ma famille mais ils ne peuvent pas me donner autant qu’avant. Et puis surtout, dans cette situation, on en vient à davantage consommer on sait que les factures de gaz et d’électricité vont être bien plus lourdes ce mois-ci. A la fac les choses coutent un peu moins cher j’ai un peu moins de revenus je paie plus
- Vous êtes inquiet pour votre famille ?
Je suis très proche de ma famille. Mes grands-parents j’évite le plus possible, je vais de moins en moins les voir parce que l’on est régulièrement cas contact potentiel. Pareil pour ma petite sœur … c’est compliqué de ne pas voir ses proches aussi.
- Qu’attendez-vous des pouvoirs publics dans ces circonstances ?
Ce que l’on attend c’est qu‘ils prennent conscience des choses et qu’ils s’organisent un petit peu, qu’ils acceptent de dire qu’ils ont fait des erreurs. Et qu’ils réalisent que la précarité des étudiants elle est réelle et structurelle. Et puis il faut s’organiser pour que les cours reprennent en présentiel, construire des salles, recruter des professeurs, faire en sorte que les masques soient gratuits. Qu’ils sortent de la communication pour prendre les choses à bras le corps ! On nous a annoncé un chèque santé mais on ne sait même pas ce qu’il y a dedans, ce qu’il va nous permettre de faire. On voudrait un peu moins d’annonces et un peu plus de courage politique.
- Est-ce que cette situation change votre regard sur la société, sur l’avenir ?
Cette crise montre clairement que le système est incapable d’organiser la société et de prendre les citoyens en charge quand des grands événements se produisent. A l’inverse, en face toute une série de gens sont là pour s’entraider pour prendre les choses à bras le corps. Quand on a lancé l’association pour l’aide alimentaire et que l‘on a dit que l’on avait besoin de bras pour venir collecter et distribuer, en moins d’une semaine on est passé à 80 bénévoles. Il y a beaucoup de gens qui comprennent très bien la situation et qui sont capables d’une grande solidarité. C’est un rayon de soleil dans cette période sombre.
En plus on comprend bien que ce virus il ne nous tombe pas dessus par magie mais que cela a sûrement à voir avec la dégradation de l’environnement. On commence à comprendre le besoin de changement et quelles peuvent être les bonnes réponses. C’est ce qui est rassurant.
- Quel message souhaitez-vous adresser aux autres jeunes ?
Vous n‘êtes pas seuls, il y a quand même des aides qui existent, beaucoup d’associations et il ne faut pas hésiter à les contacter il ne faut pas hésiter à se faire accompagner et se dire que, même si on a l’impression que tout va mal, on est nombreux à partager cette situation, que ce n’est pas une fatalité et que l’on peut faire quelque chose.