Ils appartiennent aux catégories les moins à risque face à la Covid-19 et pourtant ils sont aussi de vraies victimes de la crise sanitaire. Parcours étudiants bouleversés, intégration compliquée dans le monde du travail, disparition de nombreux petits boulots et stages, précarisation, vie sociale empêchée : les jeunes vont mal. Face à cette situation, la France traîne un énorme retard concernant le nombre de psychologues présents dans les établissements d’enseignement supérieur avec en moyenne un psychologue pour 30 000 étudiants. Le point avec le président de l’Association des directeurs des services de santé universitaire et médecin directeur du pôle santé handicap étudiants à l’université Clermont-Auvergne, Laurent Gerbaud.
- Pourquoi Docteur : Pourquoi y a-t-il si peu de psychologues dans les universités françaises ?
Laurent Gerbaud : Parce que ça n’intéresse personne! La situation des psychologues dans les universités n’est d’ailleurs pas différente de celle des médecins et infirmières. Les services de santé universitaires sont oubliés depuis longtemps. Il y a eu des réflexions mais aucune politique jusqu’à maintenant. Il y a même eu des régressions. Celles-ci sont arrivées vers la fin des années 90 avec l’idée que la santé des étudiants n’est pas un problème. L’accès à la sécurité sociale des étudiants était un problème mais pas leur santé.
Il y a eu un plan national de vie étudiante en 2015 avec un volet santé mais il n’a pas été suivi d’effets. Il a été un peu oublié. En 2018, une part de la contribution de vie étudiante et de campus a été allouée au service de santé universitaire. Mais c’est trop peu. Le problème est plus profond et structurel. Si demain on décide de mettre plus de psychologues aux universités, le problème ne sera pas résolu parce que les universités n’ont pas les capacités pour les accueillir. Il n’y a pas eu d’évolution depuis les années 70.
- Pourquoi le suivi psychologique des étudiants est difficile ?
Tous les services ont mis en place des systèmes de prise de contact. On essaie de répondre aux demandes qui sont faites. Mais le problème c’est qu’il y a plusieurs types d’étudiants en détresse : ceux qui ne vont pas bien et qui font la démarche de venir nous voir, ceux qui ne vont pas bien et le reconnaissent sans venir nous voir et enfin ceux qui ne savent pas que ça ne va pas.
Le deuxième volet c’est que la crise est aussi sociale en plus de son volet psychologique, avec une perte de revenus liée aux petits boulots, aux parents qui perdent leur emploi. Beaucoup d’étudiants ont du mal à demander des bourses parce que demander de l’aide n’est jamais facile.
- Quelles sont les principales préoccupations des étudiants ?
Les étudiants veulent étudier, et étudier c’est aller à des enseignements où l’on peut poser des questions et interpeller les professeurs. Ils veulent également vivre leur vie étudiante et se sociabiliser. Ils veulent une relative liberté pour s’organiser. Il y a une souplesse dans la vie au quotidien à l’université quand on est sur place que l’on ne retrouve pas avec les cours à distance.
On est dans la pathologie sociale qui a des conséquences psychiatriques. Ce qui a contribué à l’anxiété à partir de fin septembre c’est de ne pas savoir comment tout ça va évoluer. C’est compliqué parce que l’on a une épidémie que l’on ne maîtrise pas. Puis il y a le problème du décalage entre les annonces et ce qui se passe réellement. Lorsque le président de la République annonce que les étudiants peuvent revenir une fois par mois alors que les universités viennent d'installer l'enseignement à distance, c’est compliqué d’organiser leur retour. Le même problème se pose avec les repas à 1 euro : les salles de restauration des universités n’ont pas rouvert donc les repas sont à emporter mais comme ils fait froid, les étudiants s’entassent dans les halls où les règles de distanciation ne peuvent pas être respectées. Il y a plein d’injonctions contradictoires. On est dans la gestion de l’imprévu et ça impacte les étudiants. Ce qui m’inquiète, c'est de savoir qu'il y a des étudiants qui ne disent rien et qui partent sans faire de bruit. Ceux-là, je ne sais pas comment les toucher. Personne ne sait.
- Pourquoi la crise sanitaire et les mesures qui restreignent les libertés touchent particulièrement les étudiants ?
Ils sont impactés comme tout le monde mais ils n’ont pas les mêmes réseaux. Quand on se retrouve confiné avec une vie de famille ça n’est pas pareil que se retrouver seul dans une petite chambre sans réseau social construit. Ceux qui sont en première année, ils ont passé le bac après le premier confinement, ont eu la rentrée puis connu le deuxième confinement. À l’université, il faut environ un mois – un mois et demi pour qu’un étudiant comprenne comment fonctionne l’université et commence à se construire un réseau.
- Leur vision de l’avenir a-t-elle changée ?
On a des éléments qui le laissent penser mais il n’y pas d’enquête menée sur ce sujet. Le risque c’est la difficulté à se projeter dans l’avenir avec des étudiants qui nous disent que plus rien ne les intéresse. Dans mon université (Clermont-Auvergne, ndlr) il y a eu une augmentation de 25% des consultations. Au niveau national, il y a eu entre 20 et 30% de demandes en plus. Ces chiffres sont différents en fonction des villes universitaires. Plus la ville est grande, plus le phénomène est massif. Je pense que plus la métropole est grande plus la solitude est grande. Quand les structures sont plus petites, on croise et recroise, connait et reconnait. Quand les structures sont massives, la construction de la sociabilité étudiante est plus difficile.
- La Charte de l’Accréditation Internationale des Services de Santé Mentale Universitaire (IACS) estime qu’il faut viser un psychologue à temps plein pour 1 500 étudiants. Dans son rapport publié le 15 novembre dernier sur la santé mentale des étudiants, l’association Nightline estime elle qu’il en faudrait un pour 4 000 étudiants. Ces objectifs sont-ils atteignables ?
Pour l’objectif d’un psychologue pour 1 500 étudiants, on en est très très loin. Pour celui d’avoir un psychologue pour 4 000 étudiants, cela paraît plus réaliste mais il faut des moyens : des locaux, du personnel. Ça ne se fera pas en un an. Il faut également plus de budget. Ce n’est pas le tout d’avoir des psychologues, il faut du personnel pour les encadrer, pour prendre les rendez-vous. On manque d’éléments structurels. Il n’y a pas de statut pour les psychologues ni pour les médecins. Quand on aura des médecins directeurs des services de santé universitaires, on aura fait de gros progrès. On pourra mener des politiques et faire des actions. On en est à des années lumières. Le problème actuel est hérité des cinquante dernières années. Il y a eu un mépris total et complet de la question de la santé à l’université. Ça n’est pas différent de l’hôpital public.
- En France, les consultations de psychologues ne sont pas prises en charge par la Sécurité sociale. Faudrait-il les rembourser ?
Il y a une anomalie : on rembourse les médicaments mais pas les psychothérapies. Cette réalité est héritée du moment où s’est constituée la sécurité sociale : les psychologues ont refusé que les médecins prescrivent leurs interventions et sont de ce fait sortis du remboursement par la sécurité sociale. Il y avait également à l’époque une approche psychanalytique selon laquelle si le patient ne paie pas ses consultations c’est qu’il ne fera pas les efforts pour aller mieux. Cela a eu deux conséquences : quand les gens n’ont pas d’argent pour se payer une consultation, les seules structures disponibles sont les CMP (Centre médico-psychologique) et, pour les étudiants, les BAPU (Bureaux d’aides psychologiques universitaires) qui se retrouvent très vite saturées. Elles sont saturées depuis 30 ans. La deuxième conséquence est qu’il n’y a pas eu de normes pour encadrer ce métier. Il y en a une depuis une dizaine d’années mais elles peinent à être pleinement efficaces.
Il y a eu, avant la Covid, un début d’expérimentation de prise en charge psychiatrique en ambulatoire par l’Assurance maladie, notamment dans le Morbihan et à Marseille. Le chèque de trois consultations par étudiant est issu de cette expérimentation.
- Est-ce la solution ?
C’est une solution mais ça n’est pas LA solution. Quand un étudiant ne va pas bien, nous avons besoin d‘échanger avec ses professeurs, le CROUS et le personnel de l’université. Quand il y a des cas de pathologie lourde, la prise en charge est plurielle et tout le monde doit se réunir pour savoir comment accorder les études avec la santé de l’étudiant. Le problème des libéraux, c’est qu’ils ne feront jamais d’équipe plurielle donc il y aura toujours besoin que les équipes de santé de l’université interviennent pour aligner le parcours de soin et le parcours d’étude.
- Quels sont les autres axes de solutions ?
Il faut améliorer le réseau de prise en charge, d’autant plus que ça nécessite du temps. Un autre problème est celui du manque de moyens hospitaliers. Quand un étudiant a des pensées suicidaires fortes et qu’il revient seulement quatre jours après son hospitalisation alors qu’il vient à peine de commencer son traitement, c’est le signe que tout le système qui est malade.
La santé mentale, c’est avant tout de la sociabilité et de la socialisation. Il est nécessaire de renforcer les pratiques culturelles et sportives qui contribuent nettement à améliorer la santé mentale des étudiants. Il faut s’en préoccuper au niveau de l’université. Sinon, c’est l’alcool qui fait ce lien et c’est un produit qui aggrave la situation psychologique et qui crée de la dépendance donc ça ne peut pas être la solution. Il faut avoir des halls de fac sympas, des points CROUS ouverts. Il faut une vie universitaire permanente. Quand on compare avec l’étranger, ce qui frappe, c’est le désert qu’il y a dans les universités françaises.
- Que pouvez-vous dire aux étudiants qui sont en souffrance psychologique ?
Il faut tenir. Il faut qu’ils se disent que ce qu’ils vivent n’est pas la vie future. Il faut s’accrocher à toutes les relations qu’ils ont et si ça ne va pas, ils doivent appeler au secours. Il n’y a pas de honte. Qu’ils en parlent aux enseignants qui sont très sensibles au malaise des étudiants et qui peuvent les aider. Je leur dis "parlez-en autour de vous, à vos collègues". Il y a des étudiants qui nous contactent pour leurs camarades. À un moment donné il y aura un monde d’après et il faut garder l’espoir qu’il sera meilleur que le monde d’avant.