Dans une nouvelle étude publiée le 21 janvier dans la revue Microbiome, une équipe internationale de chercheurs a découvert un grand nombre de virus, dont certains inconnus, dans le patrimoine génétique des rats, qui constituent donc des sources potentielles de maladies infectieuses pour l'être humain.
Alors qu’une équipe de chercheurs de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sillonne la ville chinoise de Wuhan, épicentre de la pandémie de SRAS-CoV-2, pour connaître l’origine du virus, la piste animale semble tenir la corde. La pandémie serait originaire du pangolin, de la chauve-souris ou d’un mélange de coronavirus des deux animaux, mettant la lumière sur les dangers potentiels que représente la consommation animale pour notre santé.
Classer les rongeurs selon leur milieu
La fièvre hémorragique Chapare qui a causé la mort d'au moins trois Boliviens fin 2020, l'hépatite E qui vient d'infecter plusieurs habitants d'Hongkong et le virus Séoul, un hantavirus mortel pour les humains, ont tous pour origine commune les rats, rappelle d’emblée le Cirad (le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) dans un communiqué publié le 22 janvier dernier. Afin d’identifier les risques et les zones d’émergence en Asie du Sud-Est, où l’élevage d’animaux sauvages est en pleine expansion, les chercheurs ont décortiqué les viromes de plus de 3 000 rongeurs de plus de 30 espèces. Grâce à la collecte d’échantillons pulmonaires menée de 2006 à 2018, en Thaïlande, au Laos et au Cambodge, l’Académie de médecine chinoise a pu faire un travail de séquençage des ADN des virus. Ce travail s’inscrit dans un des objectifs fixés par l’IPBES, une plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, dans son rapport paru le 29 octobre 2020 sur les pandémies. Elle y affirme que plus de 800 000 virus potentiellement dangereux pour l’être humain restent à découvrir.
“Nous avons retrouvé des virus déjà connus, notamment des hantavirus, des mammarenavirus ou des coronavirus, et confirmé le rôle de réservoirs de certaines espèces, a commenté Serge Morand, écologue de la santé au Cirad et co-auteur de la publication. Mais nous avons également découvert de nouveaux virus, sources potentielles de maladies infectieuses pour l’être humain.” Les chercheurs ont également classé les rongeurs selon son habitat de prédilection entre forêt, agriculture et ville. “Certains rongeurs sont des spécialistes, c’est-à-dire qu’ils ne s’établissent que des milieux particuliers : forêts, agriculture inondée, zone urbaine… D’autres rongeurs sont généralistes, c’est-à-dire qu’ils se développent aussi bien en ville qu’en campagne. Par exemple, le rat noir, et les autres espèces du complexe Rattus rattus, est une espèce invasive et très parasitée, poursuit l’écologue. Classer les animaux selon leur milieu permet d’identifier les zones d’émergence possible des virus qu’ils portent.”
Les élevages de rats sauvages en hausse
Cette étude confirme le lien étroit entre la circulation d’un virus et les élevages d’animaux qui sont faits dans cette même région. Les chercheurs prennent ainsi l’exemple de l’émergence du SRAS en Chine en 2002, passé de la chauve-souris à l’Homme à un moment où de forte mise en élevage de cet animal sauvage. “Ce précédent, qui aurait dû servir d’exemple, n’a pas empêché l’essor récent de fermes d’animaux sauvages en Asie du Sud-Est”, déplore le Cirad dans son communiqué.
Les chercheurs se veulent plutôt inquiets pour la suite, d’autant qu'ils constatent une augmentation des élevages d'animaux sauvages, notamment certaines espèces de rats des rizières, en Asie du sud-est. Ces exploitations, notent les chercheurs, sont souvent familiales et de petites tailles et s’effectuent dans de mauvaises conditions sanitaires, sans le suivi vétérinaire nécessaire. “La mise en élevage des animaux sauvages augmente en Asie du Sud-Est, et apparaît bien plus dangereuse que la consommation de viande issue de la chasse, constate Serge Morand. Les données théoriques que nous venons de produire et de partager au reste de la communauté scientifique ne valent rien si l’on ne peut pas empêcher ces comportements.”