"Une collègue m’a agressée verbalement pour un incident qui me paraissait sans importance. J’ai ressenti comme un choc physique, mais je n’y ai pas prêté attention. J’ai eu mal dans la poitrine et dans le bras gauche pendant 2 ou 3 jours, mais la douleur ne m’a pas alarmée. Puis, un soir, ma vue s’est troublée. Mon mari a appelé une ambulance. J’avais une sensation étrange, je ne réussissais plus à parler… A l’hôpital, on m’a fait un électrocardiogramme et on m’a dit que c’était un infarctus. Pourtant je n’ai jamais fumé. J’ai eu une échographie du cœur et les médecins m’ont annoncé, qu’en fait, je faisais un Tako-tsubo (syndrome du cœur brisé, NDLR). Mon cœur s’était paralysé à la suite d’une montée violente de stress."
"Je suis restée deux jours en soins intensifs"
"Je suis restée deux jours en soins intensifs, puis je suis rentrée chez moi avec un gros traitement. Pendant 6 semaines, j’étais vidée de mon énergie. Un bon avertissement… Depuis, j’essaie de prendre davantage soin de moi et je me fais aider pour mieux gérer mon stress". Comme chez Stéphanie, 55 ans, secrétaire de direction à Nancy, le syndrome du cœur brisé (ou Tako-tsubo) touche de plus en plus de femmes depuis le début de la crise sanitaire - le nombre de nouveaux cas a été multiplié par 4,58 dans les pays fortement touchés par la Covid-19.
En cause notamment : l’excès de stress psychosocial. "L’accumulation de stress conduit à une fragilité émotionnelle, qui peut aboutir à une paralysie du muscle cardiaque", explique le Pr Claire Mounier-Véhier, cardiologue au CHU de Lille, cofondatrice de l'association Agir pour le Cœur des Femmes. "Le cœur se met en état de sidération face à l’événement de trop, qui aurait pu être anodin en d’autres circonstances. C’est le Tako-tsubo, syndrome du cœur brisé, ou cardiomyopathie de stress", poursuit la spécialiste.
Les symptômes du syndrome du cœur brisé
En plus du stress, les chocs émotionnels (perte d’un être cher, rupture amoureuse, annonce d’une maladie…) mais aussi physiques (intervention chirurgicale, infection, accident, agression …), souvent associés à une fatigue intense (épuisement moral et physique), sont aussi des facteurs déclencheurs du Tako-tsubo.
Le syndrome du cœur brisé se manifeste par des symptômes proches de l’infarctus : essoufflement, douleur brutale dans la poitrine en étau irradiant dans le bras et la mâchoire, palpitations, perte de connaissance ou malaise vagal. "C’est une urgence cardio-vasculaire encore trop méconnue, à prendre très au sérieux, tout particulièrement en cette période de Covid", estime Claire Mounier-Véhier.
Le cœur se "ballonne" et prend une forme d'amphore
Le syndrome de du cœur brisé a été décrit pour la première fois au Japon dans les années 1990. S'il s'apparente à un infarctus sur le plan épidémiologique, il n’est pourtant pas lié à une obstruction des artères coronaires. Une situation de stress aigu active le système nerveux sympathique, déclenchant la production d’hormones de stress (les catécholamines), qui accélèrent le rythme cardiaque, augmentent la pression artérielle et contractent les artères coronaires. Sous l'effet d’une libération massive de ces hormones de stress, une partie du cœur peut ne plus se contracter. Le cœur se "ballonne" et prend une forme d'amphore (Tako-tsubo veut dire "piège à poulpe" en japonais).
Totalement réversible quand la prise en charge cardiologique est précoce, "ce phénomène est potentiellement facteur de troubles aigus du rythme ventriculaire gauche, qui peuvent causer la mort subite, mais aussi d’embolies artérielles", met toutefois en garde Claire Mounier-Véhier.
Les femmes, premières victimes du Tako-tsubo
Les femmes sont les premières victimes du syndrome du cœur brisé (9 femmes pour 1 homme), car leurs artères sont particulièrement sensibles aux effets des hormones du stress et se spasment plus facilement. Les femmes ménopausées y sont d’autant plus exposées qu’elles ne sont plus protégées par leurs œstrogènes naturels. La fameuse "charge mentale", plus présente chez les femmes que chez les hommes, est aussi un facteur de risque.
"Une femme de plus de 50 ans, ménopausée, en situation de rupture, ne doit surtout pas sous-estimer les premiers symptômes liés à un stress émotionnel aigu", interpelle le professeur Claire Mounier-Véhier. "Le syndrome de Tako-tsubo nécessite une hospitalisation en urgence, pour éviter des complications graves et permettre une prise en charge en unités de soins intensifs cardiologiques. L'appel du 15 est primordial. Comme dans l'infarctus du myocarde, chaque minute compte !", conclut-elle.