- 500 enfants décèdent d'un cancer chaque année en France.
- Le cancer est la 1ère cause de mortalité par maladie des enfants de plus de 1 an.
- Le nombre d'enfants diagnostiqués n'a jamais reculé.
"Le 9 mai 2018, nous avons entamé, avec notre fils Anatole, un long voyage au pays des enfants malades. D’abord, voyage immobile dans la sidération et la détresse de la découverte de son cancer. Puis voyage initiatique dans les services d’oncologie pédiatrique, un drôle de pays complexe et redoutable. Voyage également dans le monde de la santé, de la médecine et de la recherche. Et voyage bien réel et indispensable aux USA, voyage d’espérance pour obtenir l’accès à un traitement expérimental prometteur. Aujourd’hui, ce long voyage continue au pays de la patience et de la résilience, voyage long et sinueux, sombre aussi, mais ô combien ardent.
Nous sommes une petite famille ordinaire et résidons en Suède avec nos deux enfants, Anatole et sa grande soeur. En mai 2018, Anatole a presque 8 ans. Il aime jouer aux Lego, regarder les films de Star Wars, se défouler au rugby. Il adore parler de ses voyages et rêve d’être ingénieur-technicien-chercheur-explorateur. Il a aussi la main gauche qui tremble. Nous n’imaginons pas que notre vie va être totalement bouleversée lorsque nous l’emmenons à une visite médicale pour ce que nous pensons être une faiblesse musculaire.
"Un mauvais rêve"
Le diagnostic tombe : Anatole est atteint d’une tumeur cérébrale au thalamus, appelée gliome diffus de la ligne médiane (Diffuse Midline Glioma, DMG). Une mutation H3 K27M rend le pronostic encore plus alarmant puisqu’elle classe la tumeur directement au grade 4 de l’OMS, le plus agressif. Le taux de survie des patients est de 10 % à deux ans, 1 % à cinq ans. Des chiffres qui donnent la nausée.
Nous sommes hébétés, abasourdis, sidérés. Cette stupeur, c’est pour nous le premier contact avec le cancer de notre enfant. Nous n’y croyons pas, c’est un mauvais rêve, une blague de très mauvais goût, une erreur. Il faut attendre le moment où l’on doit en informer notre entourage, entendre les mots sortir de notre propre bouche pour comprendre que la maladie est dorénavant devenue notre réalité. Qu’elle vient de rentrer, dans nos vies, par la grande porte, et n’a aucune intention d’en sortir.
Les semaines qui suivent, nous vivons comme des automates. Tout cela nous dépasse. Nous nous reposons essentiellement sur ce que nous disent les médecins. Nous soumettons notre fils aux soins prescrits par les oncologues de l’hôpital universitaire de Stockholm, dans les mains desquels nous remettons la vie de notre enfant. Nous sommes désemparés, dépassés mais nous tentons d’ingurgiter tout un tas de mots pour essayer de comprendre ce qui arrive à notre fils. Nous avons la chance d’avoir une équipe abordable et patiente qui prend le temps de nous expliquer, et parfois, de tout nous réexpliquer. Rapidement, elle reconnaît qu’il y a peu de cas en Suède et préfère demander de l’aide à ses homologues internationaux. Nous apprécions cette humilité. Puisque nous sommes Français, l’équipe de Stockholm se met en contact avec le Dr Jacques Grill de l’institut Gustave Roussy. Celui-ci travaille sur un essai clinique destiné aux enfants atteints de DIPG (similaire au Gliome Infiltrant du Tronc Cérébral). Nous nous sentons en confiance. Durant l’été 2018, jusqu'à la fin de l’année, Anatole suit un premier protocole élaboré conjointement, alliant protonthérapie et chimiothérapie. Nous nous laissons guider, tenir par la main, nous nous en remettons entièrement à la science, persuadés que les médecins font tout leur possible pour sauver notre enfant.
"La maladie se voit"
Malgré cela, la tumeur d’Anatole progresse. Au fil des mois, son état se dégrade. Il est mis un temps sous corticoïdes afin d’enrayer l’inflammation autour de la tumeur. Il doit subir une ventriculostomie pour aider le liquide céphalo rachidien à mieux circuler. On lui pose une chambre implantable pour éviter les piqûres à répétition dans le bras. Autant d’interventions chirurgicales qui sont des coups au coeur. La maladie se voit à présent. Peu à peu atteint d’hémiparésie, Anatole perd en autonomie. Les muscles fonctionnent mais il n’arrive plus à contrôler le côté gauche de son corps, il ne s’en sert plus, il l’oublie. Il ne bouge plus sa main gauche ni son bras, sa jambe gauche ne le porte plus, il se déplace en fauteuil roulant la plupart du temps. Il a la moitié du visage figée, il parle de moins en moins distinctement, il salive tout le temps. Il est fatigué et se repose beaucoup. Jamais il ne se plaint.
C’est tout à fait légitime de faire confiance à la médecine moderne, claire, nette, précise et chirurgicale. Mais quand l’opération n’est pas possible ? Quand le traitement n’apporte aucune amélioration ? Nous nous tournons vers d’autres avis, demandons une seconde opinion à différents docteurs, explorons d’autres pistes, découvrons d’autres approches. Nous nous renseignons auprès d’associations, discutons avec d’autres familles, surfons sur Internet et les réseaux sociaux, regardons des documentaires, consultons des données, lisons, souvent en anglais, de nombreux articles et publications, fruits de la recherche scientifique. Au-delà des statistiques, des mots si durs à entendre, du pronostic si pessimiste, nous cherchons quelque chose à quoi nous retenir, un peu d’espoir caché dans tous ces mots savants. Nous sommes conscients d'avoir la possibilité de le faire et le temps, ce que beaucoup de parents n’ont malheureusement pas devant la fulgurance du cancer de leur enfant. Nous comprenons que l’accès aux soins est limité, non adapté et soumis à conditions. Nous nous sentons bien seuls, devant cette masse d’informations, ces options balbutiantes, ces microchances de survie. Nous remuons ciel et terre pour trouver ce qui se fait de mieux partout ailleurs dans le monde. De nouvelles thérapies sont en développement. Des options sont possibles, des pistes existent. De rares cas de rémission ont lieu. Nous nous accrochons de toutes nos forces à cette idée.
"La culpabilité de ne pas tout savoir"
Nous nous écoutons en tant que parents, nous allons dans le sens de nos croyances les plus intimes, déterminés à ne pas baisser les bras. On nous parle de courage. Il s’agit plutôt d’un instinct de survie, au nom de notre fils. Cela ne veut pas dire que nous rejetons en bloc les protocoles qui nous sont offerts mais nous étudions la question sous des angles différents. Nous prenons conscience d’une bien triste réalité. Les services d’oncologie ne connaissent pas tous les traitements existants ni les essais thérapeutiques en cours, et plus la tumeur est rare, plus c’est vrai. Les docteurs sont prisonniers de leur carcan, limités par les protocoles et les règlements des hôpitaux qu’ils ne peuvent enfreindre. Ils sont également concentrés sur leur domaine d’expertise et ne prennent pas la santé du patient dans sa globalité. Nous discutons avec eux, nous venons avec nos listes de questions, nous leur soumettons nos propositions. Nous les embêtons, les dérangeons, les poussons dans leurs derniers retranchements. Nos réflexions les interpellent, ils y adhèrent ou non, mais jamais, nous ne nous sentons jugés. Libre à nous d’adapter notre quotidien selon nos convictions. Il s’agit de la vie de notre petit garçon et c’est à nous de choisir. Quelle responsabilité pour nous, parents ! Quelle culpabilité de ne pas tout savoir, tout connaître, tout maîtriser !"
Site : tousavecanatole.com
Davantage de témoignages dans le livre Regards (édité chez Les Plumes d’Ocris). Les bénéfices de la vente du livre seront intégralement reversés à la fédération Grandir Sans Cancer pour la recherche dans le domaine des cancers pédiatriques.