Dans l’histoire immunitaire de chacun et chacune, la première infection au virus de la grippe est primordiale, puisqu’elle façonne la manière dont nous réagirons aux futurs virus de la grippe transmis par l’air, y compris les souches pandémiques émergentes comme le SARS-CoV-2.
C’est ce qu’avancent des virologues de l’école de médecine de l’université de Pittsburgh (États-Unis) dans une étude publiée dans la revue PLOS Pathogens. Selon eux, la première infection grippale pourrait expliquer les différents niveaux de gravité et de sensibilité à la Covid-19.
"Avoir la grippe une fois ne vous immunise pas contre tous les futurs virus de la grippe, explique Seema Lakdawala, professeure assistant de microbiologie et de génétique moléculaire, et principale auteure de l’étude. Le fait d'avoir eu le virus du SRAS en 2003 ou l'un des coronavirus du rhume en circulation ne signifie pas nécessairement que vous ne pouvez pas être infecté par le SARS-CoV-2. Mais votre susceptibilité à l'infection peut être différente de celle d'une personne qui n'a jamais rencontré de coronavirus."
À la recherche du péché originel antigénique
Pour analyser la réponse immunitaire à la grippe, les chercheurs ont utilisé des furets, qui ont une sensibilité similaire à celle des humains. L'expérience a été conçue pour tester le concept de "péché originel antigénique", c'est-à-dire le moment où la première exposition d'une personne à un agent pathogène marque son immunité à toutes les infections futures.
Ce phénomène a déjà été observé dans les populations touchées par des épidémies et des pandémies de grippe antérieures. Par exemple, la pandémie de grippe H1N1 de 2009 a touché de manière disproportionnée les personnes âgées de 5 à 24 ans, ce qui laisse penser que les personnes âgées ont été exposées à une souche de grippe antérieure qui leur a donné une immunité durable, les protégeant ainsi de la nouvelle souche.
Dans l'expérience sur les furets, les scientifiques ont infecté différents groupes de furets qui n'avaient jamais eu la grippe avec l'une des deux souches différentes de grippe - la grippe saisonnière H3N2 ou la grippe pandémique H1N1 de 2009 - et ont attendu trois mois pour permettre au système immunitaire de développer une immunité plus mature contre la souche à laquelle ils ont été exposés.
Puis les furets immunisés contre la souche H3N2 ont été exposés à des furets contagieux au virus H1N1, et les furets immunisés contre la souche H1N1 ont été exposés à des furets contagieux au virus H3N2.
Les chercheurs ont mélangé les furets contagieux avec leurs pairs pendant 8 heures par jours sur une période de 5 jours, pour imiter les journées de travail des humains, ou continuellement pendant 2 jours, comme lors d’un week-end en famille.
Une réponse immunitaire adaptative
Les résultats ont montré que les furets ayant déjà été infectés par le virus H1N1 étaient protégés contre la transmission de la grippe H3N2 par l'air d'un autre furet contagieux. Mais les furets ayant déjà été infectés par le virus H3N2 n'avaient pas le même niveau de protection contre la grippe H1N1 et ont été infectés au même rythme qu'un animal sans immunité préalable.
"C'était vraiment surprenant", estime la Pr Lakdawala, qui estime que "notre immunité peut déterminer notre sensibilité aux infections ultérieures, mais que ce n'est pas uniforme".
Si l'expérience n'a pas révélé pourquoi les furets ayant déjà été infectés par le virus H1N1 étaient protégés contre le H3N2, ni pourquoi une infection antérieure par le H3N2 ne bloquait pas le virus H1N1, les scientifiques ont toutefois découvert que l’immunité n’était pas due à des anticorps neutralisants. Ces anticorps sont acquis suite à une vaccination ou une infection qui ciblent et neutralisent spécifiquement un pathogène défini. Cette découverte indique que l'immunité était probablement due à la réponse immunitaire adaptative : cela signifie que la précédente infection par le virus H1N1 a incité le système immunitaire à être à l'affût du H3N2 et à l'éliminer rapidement.
Ces travaux doivent être complétés pour mieux comprendre le mécanisme immunologique, mais pourrait dès maintenant permettre de comprendre comment les infections, notamment la Covid-19, touchent les personnes en fonction de leur exposition antérieure, et ainsi développer des interventions plus ciblées.