Le « tueur silencieux ». Le surnom du cancer de l’ovaire en dit long sur le pronostic de cette pathologie. Certes, avec 4000 nouveaux cas par an, il ne se place qu’au cinquième rang des cancers féminins. Mais ce cancer « rare » tue tout de même 3500 femmes chaque année. Cette hécatombe a une explication, un diagnostic tardif. Quelque 70 % des cancers de l’ovaire sont détectés à un stade 3. Et là, le taux de survie à survie à 5 ans oscille entre 5 et 25 %. S’il était diagnostiqué à un stade 1, ce serait 90 % des patientes qui pourraient être sauvées. Du coup, l’intérêt d’un dépistage précoce n’est pas à démontrer. C’est pourquoi l’équipe britannique du Pr Ian Jacobs y travaille depuis 25 ans. Et les résultats préliminaires de leur dernière étude parue dans le Lancet Oncology, laissent penser qu’ils approchent du but. Concrètement, le Pr Jacobs a lancé une grande étude auprès de 200 000 femmes afin de comparer deux techniques de dépistage : la première combine le suivi d’un marqueur biologique (le CA 125) interprété grâce à un score de risque, suivi d’une échographie transvaginale pour les femmes présentant une anomalie. La seconde technique ne repose que sur un examen : l’échographie. Résultats : l’association des deux examens a permis de dépister la plupart des femmes développant un cancer et dans la moitié des cas, au tout premier stade. Cette double technique présente un autre intérêt, celui de diviser par neuf le nombre de chirurgie par cancer détecté.
Un dépistage dans dix ans
« Nous sommes vraiment sur la bonne voie, se réjouit le Pr Eric Pujade-Lauraine, oncologue à l’Hôtel-Dieu. Mais il faut encore améliorer la sensibilité. » En effet, sur 97 femmes ayant subi une chirurgie, 42 souffraient effectivement d’un cancer. « On ne peut pas accepter un tel ratio, estime le Pr Pujade-Lauraine. Il faudrait faire baisser les interventions inutiles aux environs de 20 % ». Le dépistage de masse n’est donc pas pour tout de suite. « Il faudra encore attendre une bonne dizaine d’années », pronostique le cancérologue de l’Hôtel-Dieu. C’est aussi l’avis du Pr Jacques Dauplat, chef du service de chirurgie-cancérologie du centre Jean Perrin de Clermont-Ferrand. La technicité du dépistage mais aussi son impact économique le rendent pour le moment inaccessible. « Par ailleurs, avant de mettre un dépistage en place, rappelle le Pr Dauplat, il faut prouver qu’il fait baisser la mortalité. L’étude britannique n’apporte pas encore cette preuve ». Le Pr Christophe Tournigand, oncologue médical à l’hôpital Saint-Antoine, est lui beaucoup plus sceptique. D’une part, parce que « l’intérêt d’un dépistage de masse pour un cancer aussi rare ne sera pas facile à démontrer », et d’autre part, parce que « le CA 125 n’est pas un indicateur très fiable. Un kyste banal de l’ovaire peut le faire augmenter ».
Certains spécialistes estiment cependant que ces résultats prometteurs peuvent avoir une utilité immédiate. « Je pense que ce dépistage précoce devrait être développé auprès d’une population à risque. Ce serait, à mon avis, une alternative intéressante à la prévention par ovarectomie », avance le Pr Pujade-Lauraine. Pour toutes les autres femmes, il faudra encore attendre. « Il faudrait développer des techniques biologiques de microdosage afin de repérer des signes précurseurs de la maladie, suggère le Pr Dauplat. Mais, là, nous n’en sommes encore qu’au stade de la recherche fondamentale. » Le cancer de l’ovaire risque donc de rester silencieux encore pendant de nombreuses années.
Questions au Pr Jacques Dauplat, chef du service de chirurgie-cancérologie du centre Jean Perrin (Clermont-Ferrand)
Un impact économique trop lourd
L’étude britannique démontre-t-elle qu’un dépistage du cancer de l’ovaire est faisable ? Pr Jacques Dauplat C’est une étude très intéressante mais il me semble prématuré d’envisager un dépistage de masse. Elle compare une technique de dépistage qui est multimodale, faisant appel à plusieurs tests, à un simple test d’échographie. Et on voit bien que la méthode combinant plusieurs examens est plus performante. L’un de ces examens est le dosage régulier du CA 125, qui est un marqueur biologique, interprété en fonction d’un algorithme de risques. Cela demande une interprétation et une expérience considérables que nous n’avons pas encore aujourd’hui en France. Il faudrait savoir si cet algorithme est directement transposable.
Un dépistage systématique est-il envisageable économiquement ? Pr J. D. C’est effectivement un obstacle et non des moindres. Car, comme le montre l’étude de Ian Jacobs, lorsqu’un test d’échographie est nécessaire, il est réalisé, en Grande-Bretagne, par des techniciens, qu’ils appellent des sonographeurs. Or, en France, nous ne sommes pas du tout dans cette optique. Les échographies doivent être réalisées par des médecins. Cela suppose qu’ils soient disponibles, formés. L’impact économique d’un éventuel dépistage ne serait, du coup, pas du tout le même.
Entretien avec C.C.
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