"A un moment donné, le potentiel évolutif du virus va arriver à une fin, il va rentrer dans les rangs des virus saisonniers banals qui donneront des rhumes ou des infections peu sévères". L'optimisme véhiculé par ces propos tenus le 4 mars sur FranceInfo par le virologue Bruno Lina, membre du Conseil scientifique est-il de mise ou prématuré, voire irréaliste ?
Une expérience prépubliée en décembre dernier sur le serveur BioRxiv montre qu'un virus "classique" introduit dans le plasma d'un patient Covid convalescent -contenant donc des anticorps- est parvenu en 80 jours à muter en un variant neutralisant complètement l'action des anticorps ... Cette expérience qui n'a pas encore été validée par d'autres scientifiques montre que les évolutions du SARS-CoV-2 pourraient le rendre en fait encore plus virulent.
Mais sans aller jusqu'à ce scénario "catastrophe", une analyse de la situation de l'épidémie aux Etats-Unis réalisée par le scientifique américain Christopher JL Murray de l'université de Washington et publiée le 3 mars dans la très sérieuse revue JAMA est elle aussi beaucoup moins affirmative que le virologue du Conseil scientifique sur l'évolution de la Covid-19 en une infection saisonnière récurrente. Christopher JL Murray rappelle que pour que cette maladie devienne une infection banale, il est couramment admis que le niveau d'immunité collective à atteindre se situe entre 70 et 80%. Et selon lui, plusieurs facteurs risquent, malgré l'existence des vaccins, de rendre difficile l'atteinte cette situation.
Un effet réduit des vaccins
"Le vaccins auront un effet réduit sur la prévention de l'infection par le variant B1351 - dit 'variant sud-africain'-", estime en premier Christopher JL Murray. Pour appuyer cet avis, il souligne que "pour les trois vaccins testés contre ce variant, Janssen, Novavax et AstraZeneca ont rapporté des estimations d'efficacité pour empêcher la forme symptomatique de la maladie de respectivement 57 et 49% pour ls deux premiers et un pourcentage statistiquement non significatif pour le troisième". Ce qui signifie que si la part de ce variant dans les cas d'infection continue de progresser, l'efficacité globale des vaccins administrés aux Etats-Unis ne dépasserait pas 50%.
D'autre part, le scientifique rappelle que, notamment en raison de l'hostilité d'une partie de la population vis à vis des vaccins et du fait que la vaccination des enfant n'est pas à l'ordre du jour, le niveau de l'immunité collective que l'on peut attendre une fois que tous ceux qui peuvent ou veulent l'être auront été vaccinés, n'attendrait, selon ses projections, que 37,5%.
Troisième limite à l'efficacité de la campagne vaccinale soulignée par Christopher JL Murray, les doutes sur la protection qu'elle peut apporter contre une réinfection par les nouveaux variants du SARS-CoV-2 : "Si B1351 se propage largement, l'immunité dérivée du vaccin sera probablement bien inférieure aux niveaux requis pour atteindre l'immunité collective", assure-t-il.
Une baisse des hospitalisations et des décès
Voilà copieusement douchés, si on suit cette analyse, les espoirs de sortie rapide de cette crise sanitaire ! Si le chercheur américain admet que "même si la transmission reste similaire à ce qui s'est produit durant l'hiver 2020-2021, les hospitalisations et les décès devraient être moindre à l'hiver 2021-2022", il pondère ce pronostic en rappelant l'impact positif des mesures de protection (distanciation social, masques, etc...), mesure dont il estime qu'elles seront "problématiques à tenir l'hiver prochain en raison de la fatigue du public et de l'effet de la pandémie sur l'économie".
Ce qui lui fait dire que la norme à venir ne serait pas une vie redevenue "comme avant" et une Covid-19 transformée en grippette. Ce qui se profile serait plutôt, selon lui, une épidémie aux effets sanitaires certes moins graves mais avec des "surtensions hivernales". "La Covid-19 saisonnière récurrente pourrait nécessiter à la fois un changement des systèmes de santé et un ajustement culturel profond pour la vie des personnes à haut risque pendant les mois d'hiver". Très concrètement, Christopher JL Murray avance pour ces catégories à risque la nécessité de maintenir à long terme des limites concernant les rassemblements, l'accès aux concerts et manifestations sportives, voire aux bars et restaurants. Des contraintes bien éloignées des simples conseils de prudence à rappeler face aux "rhumes ou infections pas sévères" dont le Français Bruno Lina veut croire qu'ils seront les futurs visages de la Covid-19.