Avec 33 117 décès estimés en 2018 en France, le cancer du poumon reste aujourd’hui la première cause de mortalité par cancer dans le pays. En 2018, 31 231 hommes et 15 132 femmes ont reçu un diagnostic de cancer du poumon, après avoir été dépistés individuellement.
Si la France ne pratique pas encore de dépistage organisé du cancer du poumon, c’est le cas de certains pays, comme les États-Unis. Jusqu’ici réalisé auprès de fumeurs actifs et d’anciens fumeurs de 55 ans, le dépistage organisé se veut désormais plus inclusif. Cette nouvelle recommandation émane de l'U.S. Preventive Services Task Force (USPSTF), qui souhaite que les populations jusqu’ici mal desservies par le dépistage du cancer du poumon, puissent y avoir accès plus facilement.
Dans un article publié dans la revue JAMA, des chercheurs du Lineberger Comprehensive Cancer Center de l'université de Caroline du Nord (UNC), jugent ces nouvelles recommandations "judicieuses et fondées sur des preuves et des études de modélisation bien conçues" mais estiment cependant qu’elles "ne suffisent pas à elles-seules, car nous avons constaté que l'adoption des recommandations précédentes était limitée". "La mise en œuvre nécessitera des efforts plus larges de la part des payeurs, des systèmes de santé et des sociétés professionnelles et, à l'avenir, une approche de prédiction du risque plus personnalisée et individuelle pourrait être préférable", précise ainsi le Ethan Basch, professeur distingué d'oncologie médicale, dans l’éditorial.
Une difficile réduction des inégalités d’accès au dépistage
L’U.S. Preventive Services Task Force a apporté deux changements importants à la recommandation de dépistage qu'il avait émise en 2013. Désormais, le dépistage annuel commencera à 50 ans, au lieu de 55, et l'intensité du tabagisme a été réduite de 30 à 20 paquets-année. Selon le groupe de travail, ces critères plus inclusifs pourraient plus que doubler le nombre d'adultes éligibles au dépistage du cancer du poumon, passant de 6,4 millions à 14,5 millions, selon certaines estimations. Soit une augmentation de 81 %.
Un problème demeure toutefois, soulignent les chercheurs du Lineberger Comprehensive Cancer Center : cet élargissement à l’accès ne pourra pas à lui seul réduire les inégalités raciales face au cancer du poumon, notamment les décès et les années de vie gagnées.
Il pourrait être possible de contrer cette lacune, disent-ils, en ajoutant des modèles de prédiction des risques qui identifient les personnes à haut bénéfice qui ne répondent pas aux critères de l'USPSTF. Cela pourrait réduire ou éliminer certaines disparités raciales, mais pas toutes. Il est aussi nécessaire que les futures recherches explorent les risques tels que les antécédents familiaux de cancer du poumon et la susceptibilité génétique "afin de développer des stratégies d'évaluation des risques qui pourraient identifier les personnes qui n'ont jamais fumé et qui présentent un risque élevé de cancer du poumon, mais qui ne sont actuellement pas admissibles au dépistage", écrivent les auteurs de l’éditorial.
Enfin, les chercheurs du Lineberger Comprehensive Cancer Center considèrent les obstables financiers comme un problème au dépistage du cancer du poumon. "L'élargissement de l'accès au dépistage aux personnes âgées de 50 ans et plus peut entraîner de plus grandes inégalités pour les personnes inscrites à Medicaid, le programme public d'assurance maladie de l'État", ces dernières n’étant pas certaines de voir leur dépistage financé. Le problème est d’autant plus sérieux que "les personnes qui bénéficient de Medicaid sont deux fois plus susceptibles d'être des fumeurs actuels que celles qui ont une assurance privée (26,3 % contre 11,1 %), et qu’elles sont touchées de manière disproportionnée par le cancer du poumon".
Pas de dépistage du poumon organisé en France
Bien que le dépistage soit un enjeu majeur pour le cancer du poumon, souvent détecté à un stade avancé, la France ne pratique pas encore de dépistage organisé systématique. En 2016, la Haute Autorité de santé (HAS) a conclu que "es conditions ne sont actuellement pas réunies pour que ce dépistage soit possible et utile".
Pour justifier sa décision, la HAS avançait notamment que le cancer du poumon est "difficilement détectable à un stade précoce à cause de sa rapidité d’évolution". "Il n’est pas clairement établi qu’il existe une période suffisamment longue - entre le moment où une anomalie est décelable à l’imagerie et l’apparition des premiers symptômes - pour mener un dépistage". Elle expliquait aussi que "le scanner thoracique génère trop de faux positifs (jusqu’à 90% des anomalies trouvées au scanner s’avèrent non cancéreuses après examen) et reste irradiant même à faible dose".
Les choses pourraient changer dans les prochaines années, a expliqué à Pourquoi Docteur le professeur Christos Chouaid, pneumologue et spécialiste du cancer du poumon au centre hospitalier intercommunal de Créteil, qui plaide pour une extension du dépistage organisé par scanner bas débit aux plus de 50 ans. Il cite notamment deux études, l’une américaine, l’autre néerlandaise et belge, qui montrent qu’ "un dépistage organisé du cancer du poumon basé sur un scanner sans injection, à bas débit, permet de diminuer le taux de mortalité du cancer du poumon et de faire des diagnostics plus précoces". "Ces deux études ont ravivé le débat en France", affirme le Pr Chouaid.
Le discours d’Emmanuel Macron en février dernier pour présenter sa stratégie décennale pour le cancer a d’ailleurs remis la lutte contre le cancer du poumon et son dépistage au centre du 4e Plan Cancer. "Je pense que c’est le moment de mettre en place des expérimentations, qui peuvent varier en fonction des contextes, des régions et des situations", explique le Pr Chouaid, qui plaide pour "une prise en charge en même temps que le dépistage du cancer du poumon en fonction du risque tabac". "C’est-à-dire d’être capable à l’occasion de ces dépistages du cancer du poumon d’offrir une prise en charge globale du patient pour offrir aux fumeurs actifs un sevrage tabagique, qui reste l’action de santé publique la plus efficace."