Agir contre le suicide comme les pouvoirs publics l'ont fait contre les accidents de la route, les spécialistes en rêvent. Alors que débute la 11ème journée mondiale de prévention du suicide, et que la ministre de la Santé, Marisol Touraine, lance aujourd’hui l’Observatoire national du suicide, les associations comme les professionnels de santé rappellent que, même si les statistiques sont plutôt à la baisse depuis 20 ans, il reste urgent d’agir. Près de 10 500 Français mettent fin à leurs jours chaque année, et la France reste actuellement l’un des pays européens où le taux de suicide est le plus élevé : 16,4 (taux de décès pour 100 000) soit plus de deux fois plus qu’en Italie ou qu’en Espagne. Pourtant, des moyens d’action pour prévenir le suicide existent, en France comme à l’étranger, et certains de ces outils ont même déjà fait preuves de leur efficacité.
Repérer et agir sur les facteurs de risque
Bien que le suicide ne soit généralement pas la résultante d’une cause unique, certains facteurs de risque sont aujourd’hui bien identifiés. Détecter et soigner l’alcoolisme, ou encore améliorer la prise en charge des patients souffrant d’une maladie mentale comme la schizophrénie, font partie aujourd’hui des leviers clairement identifiés par les experts pour diminuer le risque de suicide. C’est le cas également avec la dépression, qui est actuellement l’un des facteurs de risque les plus importants sur lequel il est possible d’agir. « Notamment chez les hommes et les personnes âgées, plusieurs études ont montré qu’en formant mieux les généralistes au dépistage et au traitement de la dépression, on réduit le taux de suicide, » explique le Pr Jean-Louis Terra, psychiatre à l’hôpital du Vinatier à Bron.
Ecoutez le Pr Jean Louis Terra, psychiatre : « L’Observatoire devra évaluer si la France a encore un potentiel d’amélioration dans le traitement de la dépression. Chez les personnes âgées, la dépression est parfois évoquée mais pas forcément traitée. »
Des initiatives préventives sont également utiles en milieu hospitalier. Une étude britannique parue dans le Lancet en 2012 avait montré qu’en appliquant à la lettre 9 recommandations sur la prévention du suicide dans les services de psychiatrie, on pouvait éviter jusqu’à 200 suicides par an. Dans cette étude les services psychiatriques avaient par exemple mis en place une cellule de crise disponible 24h/24 ou encore un suivi particulier des patients dans les 7 sept jours après leur sortie de l’hôpital.
10 à 30 millions d'armes à feu en circulation
Dans le cadre d’une politique de prévention du suicide efficace plusieurs expériences ont montré que réduire l’accès aux moyens létaux les plus fréquemment utilisés fait baisser le taux de passage à l’acte. « En matière d’armes à feu, on pourrait faire mieux en France. Entre les chasseurs, les collectionneurs, les tireurs sportifs, des armes d’auto-défense, il y a entre 10 et 30 millions d’armes à feu en circulation, » précise Jean-Louis Terra. Certains pays ont même montré que le fait de changer le conditionnement de certains médicaments, notamment en réduisant le nombre de comprimés par blister, permettait de réduire légèrement le nombre de suicides. Mais cette réduction de l’accès aux moyens passent aussi par des outils assez simples : sécurisation de l’accès à certains grands monuments, à des rails ou à des ponts. De petites actions, telles que des affiches d’information sur des lieux stratégiques, peuvent même parfois être utiles pour désamorcer le passage à l’acte.
Ecoutez le Pr Jean Louis Terra : « Des autocollants avec des numéros d’urgence sur des ponts aux Etats Unis ont permis d’éviter des suicides sans transfert vers d’autres moyens plus létaux. »
Des cartes postales pour éviter les récidives
Enfin pour améliorer la prévention du risque suicidaire, les experts sont formels : il est primordial d’instaurer un suivi systématique des personnes après une première tentative de suicide. Après une première tentative, environ 40% des personnes en moyenne récidivent. D’ailleurs, pour limiter ce nouveau passage à l’acte, plusieurs équipes internationales expérimentent des systèmes de veille pour repérer une nouvelle crise. Une expérimentation française menée dans 23 centres a montré récemment de bons résultats. Le projet baptisé Algos proposait notamment aux patients un numéro d'appel disponible 24 heures sur 24 et en cas d'appel, une consultation aux urgences était organisée. Pour les récidivistes, ce système de veille prévoyait aussi l’envoi de carte postale et un contact téléphonique régulier après la tentative de suicide.
Il semble donc que les moyens de prévenir le suicide ne manquent pas, malheureusement en France ils restent encore très éparpillés. Depuis plusieurs années, les spécialistes comme les associations réclament une plus forte implication des pouvoirs publics afin de mener une grande action d’envergure nationale. Marisol Touraine semble avoir entendu l’appel. « Nous avons été sollicités pour participer à ce grand chantier et sommes très favorables à la création de cet observatoire des risques avec 2 niveaux essentiels. Le premier c’est de rassembler les informations qui existent et les coordonner. Et puis surtout développer des études sur les processus suicidaires. On en a besoin tant sur un plan sociologique que dans le domaine des neurosciences, » conclut Françoise Facy, présidente de l’Union nationale pour la prévention du suicide (UNSP).