Selon les derniers chiffres de la Dares (direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques), 44 % des salariés ont été soumis en 2017 à au moins un horaire de travail atypique sur leur lieu de travail, à leur domicile ou ailleurs. Ces horaires de travail atypiques peuvent avoir lieu le week-end, mais aussi le soir (entre 20h00 et minuit), la nuit (entre minuit et 05h00). Ces deux créneaux de travail, qui ont lieu sur des heures normalement consacrées au repos et au sommeil, concernent respectivement 23 % et 9 % des salariés, soit un total de 10,1 millions de travailleurs.
Aussi conséquents soient-ils dans l’organisation du travail, ces horaires atypiques ne sont pas sans risque pour la santé. Une nouvelle étude présentée à l’ESC Preventive Cardiology 2021, le congrès scientifique en ligne de la Société européenne de cardiologie (ESC), montre au contraire qu’ils sont associés à un risque accru de maladie cardiaque. "Notre étude a révélé que pour chaque heure où l'horaire de travail n'était pas synchronisé avec l'horloge biologique d'un employé, le risque de maladie cardiaque s'aggravait", explique l'auteur de l'étude, le Dr Sara Gamboa Madeira de l'Université de Lisbonne, au Portugal.
Une horloge biologique propre à chacun
L’étude s’est concentrée sur le rôle du désalignement circadien, qui est la différence entre l'"horloge sociale" (par exemple les horaires de travail) et l'"horloge biologique" individuelle. "Nous avons tous une horloge biologique interne qui va des personnes matinales, qui se sentent alertes et productives tôt le matin et somnolentes le soir, aux personnes tardives pour lesquelles c'est le contraire - la plupart de la population se situant entre les deux. Le désalignement circadien se produit lorsqu'il y a un décalage entre ce que votre corps veut (comme s'endormir à 22 heures) et ce que vos obligations sociales vous imposent (travailler jusqu'à minuit)", détaille le Dr Gamboa.
Son étude a porté sur 301 ouvriers exerçant tous une activité de logistique dans des entrepôts de distribution d'une entreprise de vente au détail au Portugal. Le personnel travaillait toujours soit tôt le matin (de 6h à 15h), soit tard le soir (de 15h à minuit), soit la nuit (de 21h à 6h). Les participants ont rempli un questionnaire sur les facteurs sociodémographiques (âge, sexe, éducation), les facteurs professionnels (horaire de travail, ancienneté) et les facteurs liés au mode de vie et ont fait mesurer leur tension artérielle et leur cholestérol.
Les chercheurs ont évalué le sommeil et estimé l’horloge biologique interne de chaque individu, également appelé chronotype. Ils ont également mesuré le degré de désalignement circadien, aussi appelé décalage horaire social. Les participants ont ensuite été répartis en trois groupes en fonction du nombre d'heures de décalage horaire : 2 heures ou moins, 2-4 heures, 4 heures ou plus.
Enfin, ils ont calculé le risque cardiovasculaire relatif en prenant en compte différentes données comme le tabagisme (qui concerne 51 % des participants), un taux de cholestérol élevé (49 %) et une pression artérielle élevée (10 %).
Un risque qui augmente de 31 % pour chaque heure décalée supplémentaire
Les résultats ont montré qu’un participant sur cinq (20 %) était classé comme présentant un risque cardiovasculaire élevé. Près de 40 % avaient une durée de sommeil courte les jours de travail (6 heures ou moins). Le décalage horaire social moyen était de près de 2 heures. Chez 59 % des travailleurs, le décalage horaire social était de 2 heures ou moins, tandis que pour 33% du personnel, il était de 2 à 4 heures, et chez 8% il était de 4 heures ou plus.
En analysant l’ensemble de ces données, les scientifiques ont constaté que la probabilité d'être classé dans le groupe à haut risque cardiovasculaire augmentait de 31 % pour chaque heure supplémentaire de décalage horaire.
"Les résultats suggèrent que les employés ayant des horaires de travail atypiques pourraient avoir besoin d'une surveillance plus étroite de leur santé cardiaque", explique le Dr Gamboa Madeira. La chercheuse souhaite désormais réaliser deux études longitudinales "pour déterminer si les chronotypes tardifs s'adaptent mieux aux horaires de fin de nuit et les chronotypes précoces aux horaires matinaux, tant sur le plan psychologique que physiologique".