- Pourquoi docteur - Vous avez étudié les répercussions du décalage horaire (ou "jet lag social") sur le diabète. En quoi est-ce une problématique intéressante ?
Anne Laure Borel - C’est un sujet passionnant, car nous avons une conscience relativement récente de l’impact de la qualité de nos nuits et de nos habitudes de sommeil sur notre santé, et en particulier sur les risques de développer des maladies métaboliques (obésité, diabète, hypertension artérielle).
- Quelles habitudes de sommeil peuvent déclencher du diabète ?
D’abord, il est établi que faire des nuits trop courtes (moins de 7 heures, NDLR) peut déclencher une prise de poids, donc du diabète.
Ensuite, les personnes qui se couchent tard et se lèvent tard sont aussi plus susceptibles de développer du diabète. En effet, les chronotypes tardifs ont tendance à être contrariés par la vie active (emmener les enfants à l’école, aller au travail…), ce qui leur fait accumuler une dette de sommeil pendant la semaine. Pour la rattraper, ils dorment naturellement plus le week-end, et ce changement de rythme est un facteur de risque de diabète, là encore via une prise de poids potentielle.
- Pourquoi certaines personnes sont-elles des "couche-tôt", et d’autres des "couche-tard" ?
Les différences de chronotypes sont d’abord dues à la génétique et à la vie sociale ou professionnelle. L’âge peut aussi influencer nos habitudes de sommeil : les adolescents ont tendance à se coucher et se lever plus tard, alors que les personnes âgées se mettent au lit plus tôt et sont en général matinales. Enfin, les hommes sont plus susceptibles d'être des chronotypes tardifs que les femmes.
- Est-ce que travailler la nuit augmente le risque de diabète ?
Oui. Ce n’est pas inéluctable, mais les travailleurs des nuits sont plus susceptibles de développer des maladies métaboliques et certains cancers. Sachant que notre société fabrique de plus en plus de travailleurs nocturnes, c’est un sujet dont on doit se préoccuper, y compris en matière de droit du travail.
- Même sur le long terme, le corps ne peut pas s’adapter sans conséquences au travail de nuit ?
On peut s’habituer, mais cela aura toujours un impact sur l’organisme, car nous sommes des animaux diurnes. Notre corps est construit pour fonctionner la journée, en se synchronisant à l’environnement via de multiples portes d’entrée, comme la rétine ou la température corporelle par exemple.
- Les gens qui voyagent beaucoup, et souffrent donc de décalage horaire de manière répétée, peuvent-ils aussi se déclencher du diabète ?
Je ne saurais pas vous répondre avec certitude, études à l’appui. Mais le "jet lag social" devient délétère lorsqu’il dépasse une heure. Par similitude, on pourrait imaginer que quelqu’un qui voyage beaucoup a effectivement plus de risques de développer du diabète.
- Que conseillez-vous à tous ceux qui souffrent de "jet lag social" ?
Si un "couche-tard / lève-tard" tombe sur un employeur souple, je lui conseillerais d’adapter ses horaires de travail en fonction de l’heure où il se couche et se lève naturellement (dans cette optique, je pense qu’il serait intéressant de faire commencer les cours plus tard aux adolescents).
Dans le cas contraire, je conseille aux chronotypes tardifs de se mettre en conditions de sommeil assez tôt, pour s’endormir le moins tard possible et ainsi accumuler le moins de dette de sommeil possible. Cela consiste à couper avec le travail (je pense particulièrement ici aux télétravailleurs), à se coucher, à éteindre les écrans et la lumière, à faire le silence, etc…