La question du libre arbitre anime philosophes et neuroscientifiques, entre autres chercheurs, depuis toujours ou presque. Des expériences de mesure des signaux cérébraux, menées entre les années 1960 et 1980, ont conduit de nombreux neuroscientifiques à croire que notre cerveau prenait des décisions avant que l'on en ait conscience et que les actions humaines sont initiées par des ondes électriques qui ne reflètent pas une pensée libre et consciente. Une nouvelle recherche, publiée le 27 avril dans la revue Trends in Cognitive Science, soutient un autre point de vue qui redonne sens à la notion de libre arbitre.
La théorie du potentiel de préparation de Benjamin Libet
“Cette nouvelle perspective sur les données bouleverse la façon dont des découvertes bien connues ont été interprétées, affirme Adina Roskies, professeure de philosophie au Dartmouth College, qui a co-écrit l’article scientifique. La nouvelle interprétation rend compte des données tout en sapant toutes les raisons de penser qu'elle défie le libre arbitre.” Les données précédemment utilisées par les chercheurs pour défendre la thèse d’absence de libre arbitre se fondent sur des mesures par électroencéphalogrammes d’étude de l’activité cérébrale.
Ces recherches ont eu pour objet de mesurer le moment où les signaux électriques commencent à se former dans le cerveau par rapport au moment où une personne est consciente de son désir d’action. Les résultats ont montré que ces signaux, baptisés “potentiel de préparation”, se forment avant la prise de conscience. Un mouvement de pensée, notamment soutenu par le neurophysiologiste Benjamin Libet, s’est alors formé et s’appuie sur le fait que si le potentiel de préparation se produit avant qu'une personne ait une pensée consciente de bouger, le libre arbitre ne pourrait être responsable ni de l'accumulation de signaux électriques ni du mouvement ultérieur.
Un mouvement ne se décide pas avant la prise de conscience
La nouvelle étude apporte des résultats qui, selon les chercheurs, permettent d’affirmer que cette partie de la logique défendue notamment par Benjamin Libet se fonde sur une idée qui est probablement fausse. “Parce que le potentiel de préparation moyen précède de manière fiable le mouvement volontaire, les gens ont supposé qu'il reflétait un processus spécifiquement destiné à produire ce mouvement. Il s'avère, et comme notre modèle l'a montré, que ce n'est pas nécessairement le cas”, estime Aaron Schurger, professeur de psychologie à l'Université Chapman et autre co-auteur de l’étude.
Les chercheurs ont utilisé la modélisation informatique pour étudier le processus de prise de décision. Celle-ci met en évidence des résultats qui suggèrent que le potentiel de préparation, qui rappelons-le renvoie à l'accumulation d'activité cérébrale avant le mouvement, reflète une activité neuronale qui indique la formation d'une décision de bouger mais qui ne reflète pas le résultat final de la décision de mouvement. “Le potentiel de préparation lui-même est une sorte d'artefact ou d'illusion”, ajoute Adina Roskies.
De nouveaux défis à relever
Par ailleurs, l’étude met en évidence plusieurs zones d’ombre que de futures expériences devront éclairer concernant l’idée que le potentiel de préparation pousse les humains à agir. Il s’agit de la difficulté à distinguer le potentiel de préparation des autres signaux électriques dans le cerveau, de la présence d'un potentiel de préparation lorsque les tâches n'impliquent pas d'activité motrice et de la présence d’un “bruit” dans les analyses qui rend difficile de confirmer si le potentiel de préparation prédit toujours le mouvement.
Les faux positifs, dans lesquels le potentiel de préparation est observé mais ne parvient pas à initier le mouvement, et les incohérences dans la quantité de temps entre l'accumulation des ondes cérébrales et le mouvement compliquent également la compréhension de la connexion entre l'activité électrique dans le cerveau et le libre arbitre.