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Superbactéries

Comment les voyages lointains favorisent la résistance bactérienne

Par Charlotte Arce

Lorsqu’ils reviennent d’un voyage passé à l’autre bout du monde, de nombreux voyageurs internationaux transportent dans leurs intestins de nouvelles souches potentiellement mortelles de superbactéries, et favorisent ainsi leur propagation.

izzetugutmen/iStock
Les voyages internationaux favorisent la propagation et la mutation des bactéries résistantes aux microbiens, qui se logent dans le microbiome intestinal des touristes.
En analysant les échantillons fécaux de touristes après un voyage à l'international, les chercheurs ont découvert 56 gènes uniques de résistance aux antimicrobiens, dont certains résistants à la colistine aux traitements de dernier recours pour les infections causées par des bactéries gram-négatives multirésistantes.

Partir explorer un pays à l’autre bout de la planète, puis rentrer chez soi, participe à l’antibiorésistance et à la propagation de ces "superbactéries", que même les antimicrobiens les plus puissants n’arrivent pas toujours à éliminer.

C’est la conclusion à laquelle sont parvenus des chercheurs de l'université Washington à Saint-Louis. Dans une étude publiée dans la revue Genome Medicine, ils expliquent que le microbiome intestinal des voyageurs internationaux est le lieu idéal pour que de nouvelles souches bactériennes potentiellement mortelles et résistantes aux antibiotiques puissent se développer.

"Même avant la pandémie de Covid-19, nous savions que les voyages internationaux contribuaient à l'augmentation et à la propagation rapides de la résistance aux antimicrobiens dans le monde, explique Alaric D'Souza, coauteur principal de l'étude. Mais ce qui est nouveau ici, c'est que nous avons trouvé de nombreux gènes totalement nouveaux associés à la résistance aux antimicrobiens, ce qui suggère un problème inquiétant à l'horizon."

De nouveaux gènes de résistance détectés chez les voyageurs

La pauvreté, les mauvaises conditions d'hygiène et l'évolution des pratiques agricoles ont transformé de nombreuses régions en développement à faibles revenus en foyers de maladies propagées par des bactéries, notamment des infections de plus en plus résistantes à toute une série de traitements antibiotiques.

De même, les fortes densités de population facilitent la transmission de ces bactéries entre les habitants de la communauté et les voyageurs par l'exposition à de l'eau potable et des aliments contaminés, ou à des toilettes, des restaurants, des chambres d'hôtel et des transports publics mal aseptisés. De retour chez eux, les voyageurs courent le risque de transmettre ces nouvelles bactéries à leur famille, à leurs amis et à d'autres résidents de la communauté.

Les chercheurs de la présente étude ont analysé les communautés bactériennes dans les microbiomes intestinaux de 190 adultes néerlandais avant et après un voyage dans l'une des quatre régions internationales où la prévalence des gènes de résistance est élevée : Asie du Sud-Est, Asie du Sud, Afrique du Nord et Afrique de l'Est. Ils ont également analysé des échantillons fécaux dans le cadre d’une enquête multicentrique plus vaste portant sur environ 2 000 voyageurs néerlandais, dont la majorité étaient des touristes.

Ils ont alors constaté qu’après leurs voyages, les touristes présentaient tous une augmentation et une abondance de bactéries endémiques aux régions visitées. Toutes ces bactéries étaient porteuses de gènes de résistance aux antimicrobiens.

Pour parvenir à ce résultat, ils ont utilisé une technique appelée séquençage métagénomique qui permet d'identifier tous les organismes présents dans un échantillon donné : les bonnes bactéries, les bactéries dangereuses et même celles qui sont totalement nouvelles. Au total, 121 gènes de résistance aux antimicrobiens ont été détectés dans le microbiome intestinal des 190 voyageurs néerlandais.

Les résultats de l'étude ont aussi confirmé que 56 gènes uniques de résistance aux antimicrobiens s'étaient intégrés aux microbiomes intestinaux des voyageurs au cours de leurs voyages à l'étranger. Parmi eux, plusieurs gènes de résistance mobiles à haut risque, tels que les β-lactamases à spectre étendu (BLSE) et le gène de résistance à la colistine transmis par plasmide, mcr-1.

La plus grave menace actuelle de santé publique

La résistance aux bêta-lactamines confère aux bactéries une large résistance au traitement par les pénicillines et d'autres antibiotiques importants. Quant aux gènes mcr-1, ils protègent les bactéries contre la colistine, qui constitue le traitement de dernier recours pour les infections causées par des bactéries gram-négatives multirésistantes. Si la résistance à la colistine se propage à des bactéries résistantes à d'autres antibiotiques, ces bactéries pourraient causer des infections réellement impossibles à traiter, estiment les agences nationales chargées de la protection de la santé publique.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la résistance aux antimicrobiens est l'une des menaces de santé publique les plus graves auxquelles le monde est actuellement contfronté, puisque 700 000 personnes meurent chaque année d'infections résistantes aux antimicrobiens. Le rapport O’Neill, commandé par le gouvernement britannique en 2014, estime que les infections résistantes aux antimicrobiens pourraient devenir la principale cause de décès dans le monde d’ici à 2050 en causant 10 millions de décès par an.