- Les personnes qui s'ennuient et socialement conservatrices sont celles qui sont aussi les plus défiantes vis-à-vis des recommandations sanitaires comme le port du masque ou la vaccination.
- Enfreindre ouvertement les règles de santé publique est pour eux un signe de protestation politique, ce qui renforce leur sentiment d'identité.
- Les chercheurs insistent sur la nécessité de réorienter le discours sur la santé publique en mettant davantage l'accent sur ce que les gens peuvent faire plutôt que sur ce qu'ils ne peuvent pas faire.
Des mesures liberticides, inutiles, voire dangereuses pour la santé… Depuis le début de la crise sanitaire, des voix contestataires s’élèvent pour s’opposer aux règles de santé publique édictées par les différents États. Contre le port du masque, mais aussi contre les règles de distanciation sociale et contre la vaccination, ces citoyennes et citoyens sont de plus en plus visibles dans l’espace médiatique, et n’hésitent parfois pas à enfreindre ouvertement les règles de santé publique comme signe de protestation politique.
Mais qui sont ces réfractaires aux mesures sanitaires ? Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Motivation and Emotion, des chercheurs en psychologies des universités de Waterloo (Canada), Duke (États-Unis) et Essex (Angleterre) se sont penchés sur la question.
Un profil conservateur et complotiste
De précédentes études avaient déjà démontré un lien entre une forte propension à l'ennui et le non-respect des règles de santé publique. Dans ces nouveaux travaux, les chercheurs ont montré que les personnes refusant le port du masque et la vaccination faisaient aussi preuve d’un conservatisme social. Selon James Danckert, professeur de psychologie à l'université de Waterloo, les mesures de santé publique "sont devenues très politisées". "Les personnes qui considèrent ces mesures comme une menace pour leur identité, et qui souffrent beaucoup d'ennui, trouvent qu'enfreindre les règles les aide à rétablir un sens et une identité. L'ennui menace notre besoin de donner un sens à la vie et certaines choses comme la politique peuvent renforcer notre sentiment d'identité et de sens."
Les chercheurs sont parvenus à ce constat après avoir demandé à plus de 900 personnes de répondre à des questions sur l'ennui, l'idéologie politique et l'adhésion à des mesures de santé publique telles que le port d'un masque ou l'interdiction de fréquenter des personnes extérieures à son foyer. Ils ont ensuite appliqué diverses techniques d'analyse statistique pour explorer les relations qui sous-tendent ces éléments.
Ces résultats sont proches de ceux d’une autre étude, cette fois-ci menée en France par Antoine Bristielle. Pour le compte de la Fondation Jean Jaurès, ce professeur agrégé de sciences sociales et chercheur à SciencesPo Grenoble avait dressé l’été dernier le profil des anti-masques, et avait constaté que ces derniers exprimaient une défiance vis-à-vis des institutions politiques et médiatiques. Ainsi, seuls 6% d’entre eux disent ainsi avoir confiance dans l’institution présidentielle et 2% dans les partis politiques. À l’élection présidentielle de 2017, 42% n’ont pas voté au premier tour et, parmi les votants, 27% ont choisi Marine Le Pen et 19% Jean-Luc Mélenchon. Leurs réponses au questionnaire avaient aussi souligné leur profil complotiste : 52 % des interrogés disaient croire aux Illuminati (contre 27 % dans la population française), 56 % au "grand remplacement" (25 % dans la population française) ou encore 52 % à un "complot sioniste" (contre 22 % en France).
Souligner les valeurs communes plutôt que la responsabilité individuelle
Pour les chercheurs de l’étude, ces travaux montrent qu’il est primordial d’adapter le discours de santé publique et la communication à ces profils. Il faut par exemple mettre l'accent sur ce que les gens peuvent faire plutôt que sur ce qu'ils ne peuvent pas faire, afin d’aider les gens à ancrer leur sentiment d'identité et de contrôle.
"De nombreuses restrictions sont devenues très politisées et une grande partie des messages des gouvernements ont porté sur la responsabilité personnelle, analyse le Pr Danckert. Mais cela peut conduire à pointer du doigt et à blâmer, ce qui fait reculer la plupart d'entre nous. Ce dont nous avons besoin, c'est de promouvoir nos valeurs communes - les choses que nous avons en commun et les éléments positifs que nous pouvons récupérer si nous nous serrons les coudes."