- Le Pr Rem Koning a passé en revue plus de 441 500 brevets médicaux déposés entre 1976 et 2010.
- Les équipes majoritairement féminines ne représentent que 25 % des brevets déposés pendant trente ans.
- Cela se traduit par une minimisation, voire une invisibilisation des besoins médicaux des femmes : leurs maladies ne bénéficient pas de traitements et, dans le cas des maladies non spécifiques au sexe, les traitements existants ne prennent pas en compte les effets secondaires indésirables spécifiques aux femmes.
Comment expliquer que des maladies féminines telles que l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques, la fibromyalgie ou la pré-éclampsie post-partum soient si peu prises en compte par la recherche médicales, et que peu de traitements soient proposés aux femmes qui en souffrent ?
Le chercheur Rem Koning de la Harvard Business School, s’est attelé à trouver une réponse après que sa femme a développé après son accouchement une maladie rare incurable : une pré-éclampsie post-partum, qui se traduit par une hypertension. "Ils peuvent traiter ça avec du magnésium pour faire baisser la tension artérielle, mais vous vous sentez vraiment mal", explique le Pr Koning, cité par 20 Minutes.
La santé féminine, grande oubliée des brevets déposés par des hommes
Pour comprendre pourquoi cette maladie reste encore ignorée du monde de la recherche médicale, il a mené pendant trois ans une étude passant au crible grâce à une analyse de texte par "machine learning" (apprentissage automatisé du logiciel) plus de 441 500 brevets biomédicaux aux États-Unis, déposés entre 1976 et 2010. Les résultats viennent d’être publiés dans la revue Science et sont édifiants.
Ils révèlent que les inventions des équipes de recherche composées principalement ou exclusivement d’hommes sont nettement plus susceptibles de porter sur les besoins médicaux des hommes. "Au cours de 34 des 35 années entre 1976 et 2010, les équipes à majorité masculine ont produit des centaines d'inventions axées sur les besoins des hommes de plus que celles axées sur les besoins des femmes. Ces inventeurs masculins étaient plus susceptibles de générer des brevets portant sur des sujets tels que "érectile" ou "prostate" que "ménopause" ou "col de l'utérus". Les inventeurs masculins avaient également tendance à cibler des maladies et des conditions telles que la maladie de Parkinson et l'apnée du sommeil, qui touchent les hommes de manière disproportionnée", explique le Pr Koning au site The Conversation.
A contrario, ces inventions ciblent rarement la santé des femmes. "Les chercheurs masculins ont eu tendance à minimiser, voire à ignorer carrément, les besoins médicaux des femmes. Il en résulte que l'innovation s'est principalement concentrée sur ce que les hommes choisissent de rechercher", constate le chercheur.
Quant aux inventions brevetées par des équipes de recherche composées principalement ou entièrement de femmes, elles sont plus susceptibles de porter sur des conditions telles que le cancer du sein et la prééclampsie post-partum, ainsi que sur des maladies qui touchent les femmes de manière disproportionnée, comme la fibromyalgie et le lupus.
Le problème est que même en 2010, seuls 16,2 % des brevets ont été inventés par des équipes comptant autant de femmes que d’hommes. Ce qui pénalise de fait les femmes car, même si les inventions des femmes sont plus susceptibles d'être axées sur les femmes, ces brevets étaient peu fréquents parce que les inventrices étaient si peu nombreuses.
En finir avec les préjugés sexistes
La recherche médicale a donc tout à gagner à inclure davantage de femmes dans ses équipes et à accorder davantage de brevets aux équipes de recherche féminines. "Nos calculs suggèrent que si les inventeurs masculins et féminins avaient été représentés de manière égale au cours de cette période, il y aurait eu 6 500 inventions supplémentaires axées sur les femmes. En termes de pourcentage, une représentation égale aurait conduit à 12 % d'inventions féminines en plus", souligne le Pr Koning.
Selon lui, il existe d’autres avantages à laisser davantage de places aux femmes dans la recherche médicale. Ces dernières sont plus susceptibles d’identifier comment les traitements existants pour les maladies non spécifiques au sexe, comme les crises cardiaques, le diabète et les accidents vasculaires cérébraux, peuvent être améliorés et adaptés aux besoins des femmes. Elles sont aussi plus susceptibles de vérifier si un traitement peut occasionner plus d’effets secondaires indésirables chez les femmes que chez les hommes. Leurs recherches, enfin, ciblent plus spécifiquement les besoins de santé des femmes, ce qui pourrait permettre de trouver de nombreux traitements pour des maladies féminines encore incurables.
D’où la nécessité, pour le cherche, d’accroître la proportion de femmes dans les équipes de recherche médicale, mais pas seulement : il faut aussi mettre un terme aux préjugés sexistes et aux inégalités de traitement entre femmes et hommes. Encore aujourd’hui, les femmes scientifiques ont 40 % moins de chances de commercialiser leurs idées de recherche que les hommes.