Sophie Dausque, 46 ans, s’en souvient comme si c’était hier. "J’ai été diagnostiquée assez tardivement, le vendredi 13 avril 2018. Mais je m’en étais rendue compte bien avant, en novembre 2017, au lendemain de mon accouchement", se remémore cette maman de trois enfants résidant à Boulogne-sur-Mer. Dans l’un de ses seins, elle palpe une "boule bizarre" et demande alors à passer une échographie, qui ne révèle rien d’anormal. "On m’a dit que c’était l’allaitement. Sauf que trois ou quatre mois plus tard, quand l’allaitement était terminé, la boule avait encore grossi, les douleurs étaient plus importantes."
Le triple négatif, un cancer du sein très agressif
Sophie Dausque demande alors à faire des examens supplémentaires, une biopsie et une mammographie, après laquelle le verdict tombe : c’est un cancer du sein. Mais à aucun moment, les spécialistes qu’elle consulte ne prononcent les mots "cancer du sein triple négatif". Or, cela aurait pu tout changer pour Sophie. Car si 9 femmes sur 10 guérissent de leur cancer du sein, près de 15 % d’entre elles ont un cancer du sein dit "triple négatif", qui n’exprime pas les récepteurs hormonaux (œstrogène et progestérone), et ne surexprime pas HER2 à la surface des cellules cancéreuses. Cett particularité favorise la croissance des tumeurs, tandis que l’absence de marqueur diminue grandement l’efficacité des thérapies ciblées. "Jamais on ne m’a dit que c’était un cancer agressif et triple négatif", affirme Sophie, qui a subi une tumorectomie, suivie d’une chimiothérapie et d’une radiothérapie. Ce n’est que lors de sa récidive en novembre 2019 qu’elle a apprend de manière brutale la nouvelle de la part d’une oncologue. "Elle m’a dit que si la tumeur ne répondait pas à la chimiothérapie, on ne pourrait pas m’opérer. Ça m’a terrassée."
Pour autant, Sophie Dausque ne baisse pas les bras. Jusqu’ici suivie à Lille, elle se met à la recherche d’un deuxième avis à Paris. Elle rencontre alors le Pr Eric Sebban, chirurgien spécialiste du cancer du sein qui l’opère en urgence, puis la Pr Mahasti Saghatchian, oncologue et chef du Women Risk's Institute de l'Hôpital Américain de Paris, qui la suit depuis janvier 2020.
L’espoir du Trodelvy
Si la récidive avec métastases et l’opération ont affaibli Sophie, subsiste désormais un espoir : celui d’un nouveau traitement qui permettrait d’atteindre spécifiquement la tumeur. Appelé Trodelvy, ce médicament commercialisé par le laboratoire américain Gilead offre non pas l’espoir d’une guérison, mais c’est celle de doubler l’espérance de vie, lorsqu’il est couplé à une chimiothérapie. Autorisé en urgence sur le territoire américain en avril 2020, le Trodelvy attire également l’attention de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui enclenche en décembre 2020 des autorisations temporaires d’utilisation nominative (ATUn).
Mais fin janvier, c’est la douche froide. Gilead annonce ne pas être en mesure de produire suffisamment de Trodelvy pour fournir la France. Or, seules quelques patientes ont vu leurs demandes d’ATUn validées par l’ANSM avant la suspension de l’autorisation du Trodelvy. Sophie Dausque en fait partie. Membre du collectif #MobilisationTriplettes, qui œuvre pour que toutes les femmes atteintes d’un cancer du sein triple négatif puissent avoir accès au traitement, elle interpelle la presse et Brigitte Macron pour les sensibiliser à leur combat, et entame finalement ce nouveau protocole fin janvier 2021. "Mon oncologue a fait la demande et j’ai pu en bénéficier. J’avais alors perdu dix kilos, je ne pouvais plus manger ni dormir à cause des douleurs causées par les métastases osseuses. La vie était devenue si insupportable au quotidien que j’envisageais les soins palliatifs."
Ce traitement a été une révélation pour Sophie, qui peut désormais profiter de sa famille. "Tout a changé en cinq mois. Je n’ai plus besoin de morphine, je peux à nouveau marcher avec mon petit garçon de trois ans et demi, partir en vacances… Les choses vont bien aujourd’hui." Attention cependant à ne pas voir dans le Trodelvy un traitement miracle, prévient Sophie Dausque. "Je connais des triplettes chez qui il n’a pas fonctionné. Chez d’autres, ça fonctionne un temps et du jour au lendemain, tout s’arrête."
La mobilisation des Triplettes continue
Aujourd’hui, au sein du collectif #MobilisationTriplettes, Sophie Dausque poursuit son combat, pour que d’autres femmes puissent elles aussi accéder à ce traitement novateur. La promesse de Gilead de rendre à nouveau accessible le Trodelvy en France à la fin de l’année n’est pas suffisante. "On ne peut pas attendre aussi longtemps. Aujourd’hui, ce sont 600 femmes qui pourraient bénéficier de ce traitement. Combien seront décédées en décembre ?", s’interroge Sophie Dausque, qui espère que le sujet a été abordé par Olivier Véran lors du sommet du G7, auquel participaient les États-Unis. "On croise les doigts pour être entendues. On veut juste que les gens comprennent l’urgence de notre situation. On veut juste avoir la chance de vivre."