- L’enquête HEYME montre que les jeunes refusent d’être enfermés dans une « case ». 2,1 % d’entre eux ne définissent pas leur orientation sexuelle, 3,1 % se déclarent pansexuels, 9,6 % bisexuels… Les jeunes d’aujourd’hui sont-ils plus ouverts d’esprit, plus libres vis-à-vis des injonctions sexuelles que les générations précédentes ?
Tiphaine Besnard-Santini : Oui, c’est ce que je constate auprès de ma patientèle. Les plus jeunes patients que je suis ont autour de 25 ans, ce qui est tôt pour entamer une sexothérapie. Ma génération ne consultait pas à cet âge-là. Cette génération a une véritable volonté de remettre en question les choses, d’interroger son identité sexuelle, son désir, et ce beaucoup plus tôt que les générations précédentes. Il y a une forme d’ouverture d’esprit et de volonté de déconstruire les normes. Beaucoup plus de jeunes se définissent non-binaires ou pansexuels, ce qui n’était pas le cas il y a encore dix ou vingt ans.
- Qu’est-ce que la pansexualité ? Qu’est-ce qui la différencie de la bisexualité ?
C’est un terme relativement récent, qui me paraît plus inclusif et plus intéressant que celui de bisexualité, qui insiste sur le caractère binaire du genre : masculin et féminin. Parler de pansexualité est plus politique, cela va au-delà du genre. Il y a l’idée que l’on peut désirer des femmes et des hommes, mais aussi des personnes genderfluid, non-binaires ou agenrées. Le terme de pansexualité inclut aussi des pratiques sexuelles moins normées et plus minoritaires, comme le BDSM.
- Près de 2 jeunes sur 10 disent avoir déjà pratiqué le sexe à plusieurs, 1 sur 10 a déjà eu des relations sexuelles sous psychotropes. Pourquoi ces pratiques sexuelles semblent moins taboues pour la jeune génération ?
Je pense que cela va de pair avec la remise en question de la binarité de genre et des codes hétéronormés. Les jeunes ont appris à déconstruire les normes sexuelles. Ils sont donc plus ouverts d’esprit vis-à-vis des désirs, des fantasmes, des pratiques.
- D’où vient cette remise en question des normes sexuelles ?
Les mouvements féministes et queer ont indéniablement eu un impact sur les mentalités. Les médias se sont aussi emparés de ces questions, tout comme les réseaux sociaux, mais aussi la culture… Aujourd’hui, c’est devenu presque banal de voir un personnage gay, transgenre ou non-binaire dans une série, ce qui était encore de l’ordre de l’extraordinaire il y a dix ou vingt ans. Ça a un effet extrêmement positif selon moi. On voit de plus en plus de jeunes femmes ou de jeunes queer revendiquer leur identité sur les réseaux sociaux et communiquer avec leur communauté avec bienveillance. Ils donnent du pouvoir et de la légitimité à des personnes qui auparavant ne s’autorisaient pas à s’assumer.
- 55 % des jeunes interrogés disent consommer du contenu pornographique de manière régulière. Le porno influence-t-il toujours les pratiques sexuelles des jeunes ?
Oui, c’est certain que le porno a toujours de l’influence sur la sexualité. Mais je parlerais plutôt des pornos que du porno. Aujourd’hui, il existe des formes de pornographies alternatives, féministes, queer. Le porno très mainstream, hétéro avec de la violence existe toujours, mais il y a aussi la possibilité d’accéder à d’autres représentations. Je pense aussi que même s’ils ont accès à ce porno mainstream qui met toujours en scène des corps très normés – minces et épilés pour les femmes, musclés pour les hommes – et insiste sur la performance, les jeunes sont capables de faire la part des choses. D’autres représentations sont là pour contrebalancer ce modèle.
- 82 % des répondants ont déclaré faire attention, voire très attention au consentement de leur partenaire. Est-ce que vous y voyez une influence du mouvement #MeToo ?
Absolument. Le fait que le mouvement #MeToo ait été revendiqué par beaucoup d’actrices, de personnalités qui ont un impact positif sur les jeunes et les moins jeunes, a amené une prise de conscience indéniable sur le consentement, la prise en compte du désir de l’autre.
- Pourtant, même si les répondants disent avoir une vision claire de ce qu’est le consentement, un tiers d’entre eux déclarent que ce dernier a déjà été bafoué au cours de leur vie sexuelle, dont 80 % de femmes. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense que les femmes sont aussi plus conscientes de ce qu’est le consentement, du fait qu’elles sont les seules à être maîtresses de leur corps et de leur désir. A contrario, il peut y avoir une forme de survigilance et de précaution à cet endroit qui peut parfois devenir un peu paralysante au niveau du désir. Je peux le voir en consultation : parfois, cette acuité sur la notion de consentement peut susciter des questions et être bloquante. Mais c’est un moindre mal !
Je constate aussi que les jeunes s’interrogent beaucoup plus sur les nouvelles formes de relation. De plus en plus de personnes se déclarent par exemple polyamoureuses ou dans des relations non exclusives. Cela met aussi la lumière sur la question du consentement, sur la nécessité d’exprimer ses besoins et ses limites.
- L’enquête révèle qu’un quart des jeunes n’utilise pas systématique le préservatif en cas de changement de partenaire. Les jeunes sont-ils moins conscients du danger des infections sexuellement transmissibles (IST) et en particulier du VIH ou bien sont-ils moins informés ?
Je constate aussi que cette génération est parfois moins vigilante vis-à-vis de ces questions. Les générations précédentes ont été très fortement marquées par l’épidémie de sida, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Il existe désormais des traitements qui permettent de supprimer la charge virale ou de limiter le risque de contamination comme la PrEP, ce qui a sans doute occasionné une forme de relâchement sur l’usage du préservatif. Cela étant, je n’ai pas d’information sur la population sondée, mais je pense qu’il existe une grande différence entre les jeunes ayant des pratiques sexuelles hétéro et ceux qui se définissent comme LGBT. Je pense que ces derniers sont bien plus informés et vigilants sur la question du VIH et des IST.
- Quel a été l’impact des différents confinements sur la vie sexuelle des jeunes ?
J’ai l’impression que plus les gens étaient jeunes, plus cela a eu un impact dramatique sur leur vie sexuelle, mais aussi sur leur bien-être et sur leur santé psychique. Les confinements ont été une coupure énorme dans leur mode de vie, dans leur façon de se faire de nouvelles relations amicales, amoureuses ou sexuelles. Tout à coup, ils ne pouvaient plus vivre comme avant ni rencontrer qui que ce soit. Il y a eu aussi un sentiment d’urgence de vouloir profiter de sa jeunesse, de sa liberté, de sa sexualité, de ses nouvelles connaissances, et qui n’a pas pu être assouvi. Cela a créé un véritable mal-être chez les jeunes. Nombreux sont ceux à avoir fait une dépression, à s’être sentis très seuls et isolés. D’autres ont essayé de pallier ce problème en emménageant très vite à deux pour ne pas vivre le confinement seul. Cela a pu aboutir à des ruptures, car la relation n’en était pas à ce stade.