- Pourquoi Docteur : Quand et comment avez-vous appris que vous étiez une personne dite « à haut potentiel » ?
Julien Legras : Je l’ai découvert à 38 ans de manière concomitante avec mes filles puisque j’ai deux filles qui sont elles-mêmes haut potentiel. Il y avait énormément de similitudes entre les interactions de ma grande et de ma petite qui sont fondamentalement différentes et dans lesquelles je retrouvais énormément de choses vécues lorsque j’étais enfant. Dans le cadre d’une thérapie que je faisais, moi en tant qu’adulte, la particularité de mon fonctionnement cérébral et personnel a mis en lumière cette haut-potentialité et donc évidemment celle de ma fille aînée est apparue en parallèle et du coup on a pris contact avec la psychologue scolaire de ma cadette et cela a abouti à confirmer le diagnostic pour elle également.
- Apprendre que vous aviez cette particularité, cela vous a surpris ?
C’est comme si tout d’un coup on avait éclairé la pièce là où j’avais été dans le noir depuis toujours, sans comprendre mon environnement, sans comprendre le décalage, avec le monde scolaire comme avec un peu tout le monde, et ensuite également dans le monde professionnel. Et en fait tout d’un coup j’ai compris ce qui se passait : j’avais la clé !
- Avant de savoir, aviez-vous remarqué certains signes ?
C’est particulier parce que j’ai une vie un peu chaotique et un parcours atypique. Mais j’ai le sentiment de ne pas avoir eu beaucoup d’enfance, j’en ai d’ailleurs très peu de souvenirs. Il y avait un décalage assez fort avec les autres enfants ce qui ne veut pas dire que j’étais isolé dans mon coin. Mais je n’arrivais pas à les comprendre sur certains points. J’étais en sur-adaptabilité, c’est-à-dire que j’avais l’impression d’être à l’aise partout et en même temps à l’aise nulle part. J’ai pratiqué le sport à un haut niveau et j’étais très décalé aussi dans le monde du sport, y compris dans mon propre sport, le football, puisque j’étais gardien, de but, donc à part ! C’est une situation dans laquelle vous êtes unique dans un groupe et c’est assez drôle parce que c’est exactement ce que je vivais partout et que je continue d’ailleurs à vivre partiellement aujourd’hui : j’ai besoin d’être entouré et en même temps besoin d’être unique.
- Ce besoin d’être unique, vous le viviez comment ?
Alors parfois très bien parce que j’avais besoin de lumière -même si cet aspect est lié aussi à mon histoire parce que je viens d’une famille modeste et que je voyais la réussite professionnelle comme une revanche. Mais très vite le décalage devenait une souffrance : j’ai énormément d’empathie, je mets beaucoup d’émotion et d’affect dans tout ce que je fais et par définition dans le monde professionnel l’affect n’a pas sa place. Il faut s’en méfier et moi je ne m’en méfiais pas, je mettais peu de filtre dans mes émotions, dans mes paroles. Cela se passait souvent très bien au début, et dans mon intégration et dans mes performances, mais très vite arrivait la déception parce que je me rendais compte que les gens en face étaient dans un registre professionnel classique, c’est-à-dire que chacun joue sa partie, il y a de la politique, il y a des non-dit, il y a de l’hypocrisie et donc j’en souffrais parce que je me disais « mais pourquoi tout le monde n’est pas comme moi ».
- Vous avez des diplômes d’excellence, un parcours professionnel plutôt réussi. Le fait d’être une personne à haut potentiel vous a aidé à construire cette réussite ?
Non parce que ma formation, je l’ai faite sur le tard. A l’origine, je suis plutôt un autodidacte, j’ai un bac littéraire et j’ai débuté dans un poste de commercial. Ensuite, j’ai progressé avec des formations professionnelles parce que je souffrais de ce complexe de l’autodidacte qu’aujourd’hui je n’ai plus du tout. Ce qui était drôle c’est que j’étais souvent plus jeune que tout le monde parce qu’ayant commencé à travailler plus jeune et je ne comprenais pas que l’on me rappelle toujours mon absence de diplôme alors qu’à la fin du mois c’est moi qui avais les meilleures performances loin devant ceux qui sortaient de grandes écoles ! Cela provoquait aussi chez moi de la colère.
- Dans la vie professionnelle, votre particularité a-t-elle été remarquée ?
Le monde professionnel m’a longtemps considéré comme quelqu’un d’ingérable, d’instable, j’étais un peu en dehors de la norme, un peu incompris, finalement.
- Chez vos filles, retrouvez-vous des éléments comparables à ce que vous avez vécu ?
J’ai mis très longtemps à faire le parallèle. Au début je n’ai fait que le lien avec l’enfance en me disant c’est pour cela que j’étais comme ça, que je réussissais à être dans les meilleurs sans jamais travailler. Je n’ai pas de souvenir d’avoir fait mes devoirs, j’arrivais les mains dans les poches pour un contrôle et cela passait. Je suis l’archétype du haut-potentiel qui se sent un imposteur !
- Ce syndrome de l’imposteur, vous le vivez comme quelque chose de négatif ?
Encore aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal à me séparer de ce syndrome, à me sentir légitime là où je suis.
- Savoir que l’on est une personne à haut potentiel, est-ce que cela change le regard que l’on porte sur les autres ?
Oui, effectivement, cela change ce regard. Je suis parfois très critique sur les gens parce qu’il m’arrive souvent de les trouver médiocres : ce n’est pas condescendant de ma part, mais cela ne va pas assez vite, cela m’agace, je perds patience. Quand vous êtes dans une réunion et qu’au bout de quelques secondes vous comprenez quelle est la réponse à la question que tout le monde se pose et qu’il faut deux heures de bal-bla pour arriver au résultat, c’est vraiment épuisant ! Mais ce regard peut aussi conduire à de grandes difficultés : cela a eu des répercussions douloureuses dans ma vie privée…
- Que vous-même et vos filles soyez à haut potentiel, comment cela influe sur vos rapports parent-enfants ?
Cela change absolument tout. Dans la relation que j’ai avec mes filles, le fait de savoir que je partage avec elles cette particularité change complètement l’approche des problèmes. L’aînée, par exemple, a beaucoup de problèmes relationnels avec les autres à tel point qu’elle a été agressée par des élèves de la classe supérieure. Dans la cour de récréation, elle joue avec des enfants qui ne sont pas de son âge, et eux ne savent pas toujours très bien gérer cela. Le fait de savoir de quoi il s’agit, cela permet de comprendre certains actes malveillants, d’en comprendre les mécaniques et de les expliquer à ma fille. J’ai des parallèles avec mon enfance comme avec ma vie d’adulte. Mais j’ai aussi mes failles : je peux être dans une pleine compréhension, mais si une de mes filles est en crise au moment où je le suis aussi, c’est sportif !
- Dans votre vie quotidienne, au-delà de ce dont vous avez parlé à propos du regard porté sur les autres, comment se manifeste cette particularité d’être à haut potentiel ?
Par un besoin de vivre mille expériences ! Je me lance dans beaucoup de choses en parallèle, aussi bien dans le domaine professionnel que sportif ou associatif. J’ai besoin de vivre à 100 à l’heure, de vivre beaucoup de choses, j’ai un cerveau en perpétuelle ébullition !
- Surdoué, précoce, voilà comment on nomme parfois les hauts potentiels … Pour vous, le bon mot, c’est lequel ?
J’aurais tendance à rester dans la chapelle des « neuro-divers ». La problématique des termes est qu’ils peuvent vite être embêtants. Je trouve aussi que le nom de « zèbre » qu’on leur attribue est très bien. Surdoué est hyper-stigmatisant surtout qu’il arrive souvent que ces enfants soient paradoxalement en échec scolaire parce que trop décalés. Le terme haut potentiel pose le même problème : vous avez un haut potentiel et si vous ne réussissez pas cela veut dire que vous auriez gâché votre potentiel, donc on est dans la culpabilité. Sur-efficient, il y a un côté super-héros qui peut être encombrant part moment … En fait il n’y a pas de bon mot ! Nous avons juste un mode de fonctionnement différent de la norme, on n’est ni meilleurs ni moins bons, on est juste atypiques … on est juste nous-mêmes quoi !