Coup de tonnerre au pays de Pasteur, une jeune fille de 12 ans est décédée d’une crise de rougeole aiguë. Cette jeune Savoyarde est passée entre les mailles de la couverture vaccinale. Elle n’avait reçu aucune des deux doses du vaccin ROR (rougeole, oreillons, rubéole). Malheureusement, ce cas de rougeole n’est pas une exception, plusieurs foyers épidémiques ont été recensés l’année dernière par l’Institut national de veille sanitaire, notamment en Vendée, dans l’Allier et les Deux-Sèvres. « La situation au cours de ces derniers mois s’est un peu dégradée, mais aussi dans d’autres pays européens comme l’Allemagne », confirme le Pr Didier Houssin, directeur général de la santé.
Depuis le début des années 80, le vaccin contre la rougeole est pourtant recommandé par les autorités sanitaires. Que s’est-il passé ? « Le taux actuel de couverture vaccinale est encore insuffisant pour éliminer la maladie, s’alarme le Pr Daniel Floret, président du Comité technique de vaccination (CTV). 87 % des enfants âgés de 2 ans ont reçu une dose du vaccin, alors qu’il faudrait au moins atteindre un taux de couverture de 95 % ». Le président du CTV s’inquiète aussi de la stagnation du taux de couverture contre l’hépatite B chez les jeunes enfants. En outre, suite à la levée de l’obligation vaccinale en juillet 2007 et à l’arrivée d’un vaccin intradermique moins simple à réaliser, le Pr Floret redoute que la couverture vaccinale contre la tuberculose recule.
Chez les adolescents et les adultes, la situation est encore plus préoccupante. « Les enquêtes ponctuelles montrent une chute de la protection dans la population adulte, souligne le Pr Floret. Au-delà de 25 ans, le taux de couverture vaccinale contre la poliomyélite ou la diphtérie chute au-dessous de 65 % alors que les objectifs se situent au-dessus de 80 %. De même contre le tétanos, le taux baisse à 60 % chez les personnes de plus de 65 ans, alors qu’il était à 71 % ». Pour le président du CTV, il est urgent de se mobiliser pour la vaccination.
Le ROR: la rougeole apparaît comme inoffensive
Quelles sont les raisons de ces brèches dans notre système de prévention ? Tout d’abord, les maladies apparaissent comme bénignes aux yeux de la population. « Du fait des progrès accomplis, de la rareté de ces pathologies infectieuses, la vigilance s’atténue, estime le Pr Didier Houssin, c’est une des explications de la recrudescence des cas de rougeole ». « Il n’est pas rare que des parents oublient la deuxième injection pour le ROR, constate le Dr Fabien Quédeville, généraliste dans l’Essonne, et président du syndicat des jeunes généralistes (SNJMG). Ils ne sont pas toujours conscients que la rougeole est dangereuse ».
C’est aussi une des explications pour la recrudescence de cas de coqueluche. Le CTV a lancé une nouvelle recommandation chez les adultes ayant un projet parental, mais elle a du mal à être appliquée. « Les jeunes adultes ne se rendent pas compte que ce sont souvent eux qui contaminent leur nourrisson », explique le Pr Floret. « Nous avons d’autant plus de mal à faire passer un message de prévention auprès des jeunes adultes que les occasions sont rares de les voir dans nos cabinets », explique le Dr Guislain Ruelland, généraliste en Seine-Saint-Denis.
BCG : fin de l’obligation
Autre explication de ces trous dans la couverture vaccinale, la modification du calendrier. C’est le cas du vaccin contre la tuberculose. L’obligation a été levée en juillet 2007 mais il reste fortement recommandé pour les enfants susceptibles d’être exposés au bacille. Ainsi, la recommandation s’applique à tous les enfants d’Ile-de-France.
Or, 24 % des parents d’Ile-de-France n’ont pas accepté que leur enfant soit vacciné d’après une enquête de l’INVS réalisée en avril dernier. « Même si la nouvelle politique vaccinale a été globalement bien acceptée, la couverture chez les enfants nés après la suspension de l’obligation paraît insuffisante, conclut le Dr Jean-Paul Guthman, épidémiologiste à l’INVS. A sept mois, la couverture des enfants à risque reste inférieure à 60 % alors qu’elle était supérieure à 70 % au même âge chez les enfants nés avant juillet 2007. Cela plaide en faveur d’un renforcement de la communication auprès de la population et des professions de santé ».
A cela s’ajoute l’arrêt de la commercialisation du BCG par multipuncture. La modification de la technique a gêné les praticiens, qui se sont parfois désinvestis de cette pratique. « C’est la galère de prendre la bonne dose dans le flacon, ensuite de faire une sous-cutanée auprès d’un jeune nourrisson qui s’agite, surtout quand on n’est pas aidé par les parents », décrit le Dr Ruelland. « On nous a changé l’outil sans nous former, souligne le Dr Pierre Popowski, pédiatre et vice-président de la Commission santé publique de l’Urml d’Ile-de-France. Cependant, on peut s’organiser autrement. Par exemple, renvoyer les enfants pour la vaccination vers un centre de protection maternelle et infantile (PMI). »
Pour ce pédiatre, la levée de l’obligation est une bonne chose. « La vaccination doit faire l’objet d’une communication honnête, scientifique mais pas idéologique, nous devons susciter l’adhésion de nos patients, explique le Dr Popowski, qui souligne qu’en Angleterre où l’obligation du BCG a été supprimée en 1996, les taux de couverture sont supérieurs à ceux de la France.
Hépatite B : le vaccin le plus controversé
L’adhésion est le nœud du problème. Le cas du vaccin de l’hépatite B est révélateur. D’après le baromètre santé de l’Institut national de la prévention et de l’éducation à la santé (INPES), c’est le vaccin qui suscite le plus de rejet. « Les deux tiers des adolescents français vont entrer dans la période à risque sans être protégés », prévient le Pr Floret. Les études successives disculpant le vaccin, d'avoir contribué au développement de scléroses en plaques chez certaines personnes, ne parviennent pas à vaincre totalement les réticences des parents.
Cette panne est due à une communication défaillante. « Quand les pouvoirs publics doutent, il est difficile de faire passer le message auprès de la population, estime le Dr Ruelland. Nous avons poussé un peu trop loin le principe de précaution. Pourquoi ne pas présenter ce vaccin comme un vaccin anticancer, suggère le généraliste, 25 % des cancers du foie sont dus à des complications d’hépatite ». Signe d’espoir, l’arrivée du vaccin hexavalent modifie les états d’esprit. « Englobé avec d’autres vaccins, il est mieux accepté, d’autant plus qu’il est remboursé maintenant », explique le Dr Quédeville.
Dans ce domaine, les PMI ont pris un peu d’avance. Certains départements ont pris en charge le coût des vaccins bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché mais non remboursés. « Grâce à cette prise en charge, nous avons pu promouvoir rapidement ce vaccin et nous avons aujourd’hui un taux de couverture qui avoisine les 70 %, témoigne le Dr Marie-Agnès Marion, responsable de PMI au Conseil général de l’Essonne.
« La vaccination est un combat qui ne sera jamais terminé, souligne le Pr Houssin. D’ailleurs; les efforts continuent. Depuis 2005, la Semaine européenne de la vaccination permet au mois d’avril de divulguer de l’information auprès de la population et des professionnels de santé. En plus, l’INPES s’est associée au Haut conseil de santé publique pour concevoir et diffuser des documents pratiques qui aident les médecins à instaurer un dialogue sur la vaccination ». Autre initiative, suite au Plan "Santé jeunes", la mise en place en 2009 d’une consultation gratuite, mais pas obligatoire, pour les adolescents contribuera à donner une occasion supplémentaire pour assurer le bon suivi de la vaccination.