Dans chaque espèce, y compris l’espèce humaine, les femelles et les mâles présentent le plus souvent de nombreuses différences morphologiques, physiologiques et comportementales. Mais l’évolution de ces différences sexuelles, connues sous le nom de dimorphisme sexuel, reste encore une énigme pour les scientifiques. Alors qu’ils partagent le même génome, comment expliquer que femelles et mâles soient si différents ? De plus, un changement évolutif dans un sexe devrait entraîner un changement corrélé même dans l'autre sexe, empêchant ainsi l'évolution des différences sexuelles.
Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Nature Ecology & Evolution, des chercheurs de l’université d’Uppsala (Suède) montrent que même de petites quantités de différences génétiques entre les sexes peuvent faciliter l'évolution du dimorphisme sexuel, de sorte qu'il peut évoluer en quelques générations seulement.
"Nos expériences montrent que les autosomes (chromosomes non sexuels, ndlr) ainsi que les deux chromosomes sexuels, le X et le Y, peuvent abriter des variations génétiques importantes pour le dimorphisme sexuel, explique Philipp Kaufmann, premier auteur des travaux. Mais le chromosome Y seul peut modifier la différence de taille entre les sexes jusqu'à 30 %."
Des variations génétiques de la taille liées au chromosome Y
Pour parvenir à cette conclusion, l’équipe a mené ses recherches sur des coléoptères, la famille d’insectes à laquelle appartiennent les scarabées, les hannetons et les coccinelles. Les chercheurs ont caractérisé l'architecture génétique de la taille du corps chez les mâles et les femelles en créant un grand arbre généalogique de plus de 8 000 coléoptères scarabées Callosobruchus maculatus. Cet arbre généalogique multi-générationnel a été utilisé pour quantifier la variation génétique de la taille du corps liée aux chromosomes autosomiques et sexuels, et a permis de voir comment différentes formes de sélection affectent l'évolution du dimorphisme de taille. Les expériences ont été menées soit uniquement sur des mâles, uniquement sur des femelles, ou de manière sexuellement antagoniste dans les deux sexes.
Après dix générations de sélection, le dimorphisme de taille sexuel a été comparé entre les lignées de sélection et la population généalogique ancestrale. Ces expériences ont clairement indiqué que le chromosome Y joue un rôle important dans la détermination de la réponse des mâles à la sélection.
Selon Philipp Kaufmann, le fait que le chromosome Y soit responsable de la taille des sexes jusqu’à 30 % est remarquable car chez ces insectes, "le chromosome Y ne contient qu'une poignée de gènes et ne représente qu'une très petite fraction du génome, tout comme chez les humains". "Beaucoup ont pensé que le chromosome Y n'affecte que les processus reproductifs les plus importants chez les mâles, à savoir la production de sperme. Nos résultats suggèrent que le chromosome Y pourrait avoir un rôle plus large qu'on ne le pensait", poursuit-il.
Des différences sexuées qui évoluent à la fois chez les mâles et les femelles
Les chercheurs ont cependant constaté que l’évolution des différences sexuelles entre mâles et femelles ne dépend pas seulement de l'endroit où se trouve la variation génétique dans le génome, mais aussi de la manière dont la sélection naturelle et sexuelle peut agir sur elle. L’équipe a ainsi démontré en laboratoire que le dimorphisme sexuel pouvait évoluer en cas de sélection sur la taille des mâles, mais que lorsque la sélection n'agissait que sur les femelles, la partie partagée du génome provoquait une réponse évolutive corrélée chez les mâles, empêchant l'évolution du dimorphisme.
"Le changement le plus radical dans le dimorphisme sexuel, une augmentation de 50 % en seulement dix générations, s'est produit lorsque nous avons appliqué la sélection de manière sexuellement antagoniste - en favorisant la taille opposée du corps chez les deux sexes. Cela montre qu'avec le bon type de sélection, les différences entre les sexes peuvent évoluer rapidement, peut-être même plus facilement qu'on ne le pensait auparavant", estime Elina Immonen, professeure adjointe au département d'écologie et de génétique de l'université d'Uppsala. "Les travaux futurs nous permettront d'en savoir plus sur la façon dont le chromosome Y peut avoir un effet aussi important sur les mâles et sur le rôle général qu'il joue dans l'évolution des différences sexuelles entre les taxons", conclut la chercheuse.